W. KOLARZ en Afrique et la nuance politique des personnalités indigènes. Il est néanmoins facile de comprendre pourquoi, à la fin des années 40, des commentateurs politiques et même des ministres traitaient le R.D.A. de « communiste ». Dans la seule brochure publiée par le R.D.A. en français - Le Rassemblement démocratique africain dans la lutte antiimpérialiste (Paris I 948) - il y a en effet ample matière à qualifier cette organisation de cryptocommuniste. Avant tout, la brochure prônait l'idée communiste de l' «alliance du prolétariat français et des peuples dépendants », alliance mise politiquement en œuvre pendant l'immédiate après-guerre par apparentement entre les députés R.D.A. à l'Assemblée nationale et un groupe parlementaire procommuniste. Pour beaucoup, le communisme français était patriote en raison du rôle joué par le Parti dans la Résistance, et respectable à cause de sa participation au gouvernement. Comme à cette époque nombre d'Européens étaient prêts à accorder aux communistes français le bénéfice du doute, on ne peut guère reprocher aux hommes politiques de la lointaine Afrique d'avoir considéré le P.C. français comme un parti français de gauche parmi d'autres. Les communistes français eux-mêmes espéraient non seulement maintenir, mais étendre leur pouvoir au centre et mettre la main sur les colonies via Paris. En conséquence, ils décourageaient les tendmces séparatistes et révolutionnaires en Afrique, préconisaient un programme libéral d'évolution et affirmaient aux peuples coloniaux que « l'Union française était le cadre le plus favorable pour la réalisation de leurs aspirations » 5 • Tel était aussi le point de vue du R.D.A. S'il liait son sort à celui des communistes français, c'était simplement parce que ces derniers sembhient plus disposés à favoriser le progrès économique, social et politique de l'Afrique que leurs concurrents, le M.R.P. et les socialistes. En outre, il sembla un moment que les communistes avaient de meilleures chances que leurs rivaux de devenir la puissance dirigeante en France. Cela semblait d'autant plus plausible aux hommes de la Côte-d'Ivoire que le gouverneur Letville était communiste et que son secrétaire général, Lambert, l'était également; ces deux fonctionnaires français encouragèrent la formation du parti démocratique de Côte-d'Ivoire, qui devint le noyau du R.D.A. Il peut paraître étrange que la Côte-d'Ivoire, aujourd'hui puissant rempart du nationalisme conservateur africain, ait été considérée à la fin des années 40 comme le territoire français le plus révolutionnaire en Afrique tropicale. Certains craignaient même qu'elle ne devînt un «Etat communiste noir», tandis que la Guinée française paraissait un modèle de tranquillité et de 5. Etienne Pafon : L'Av,nir d, l'Union françai11, Paris 1947, p. 20. Biblioteca Gino Bianco 15 modération 6 • Les événements devaient pourtant montrer que l'attraction exercée sur les leaders du R.D.A. par les communistes était beaucoup moins forte que ces derniers ne l'avaient espéré et leurs adversaires redouté. Qui plus est, l'association avec les communistes - officiellement avec le groupe « progressiste » Union républicaine et résistante - n'avait jamais été du goût de toutes les personnalités du R.D.A. Celui-ci était en effet troublé par de continuelles défections et les rebelles entraient d'habitude dans un groupe anticommuniste au Parlement. LE RETRAIT des communistes du gouvernement français en mai 1947 réduisit de beaucoup l'utilité de l'alliance nationaliste-communiste pour le R.D.A. Avec l'adoption par le P.C.F. d'une position sectaire intransigeante, le désenchantement du R.D.A. ne fit qu'augmenter; un parti français de gauche pouvait être un allié utile, mais une cinquième colonne soviétique était une gêne pour les nationalistes africains. En octobre 1950, la direction du R.D.A. au grand complet abandonnait l'apparentement avec les communistes et, peu après, établissait des relations similaires avec un petit parti du centre gauche, l'Union démocratique et socialiste de la Résistance (U.D.S.R.). Aux yeux des communistes, cette défection était une trahison et la plupart des dirigeants du R.D.A. furent désormais dénoncés comme «renégats». Vu rétrospectivement, le R.D.A. était à l'origine un Front populaire à l'africaine comprenant des catholiques fervents, des sociaux-démocrates et des chefs de tribus impossibles à décrire en termes politiques occidentaux. L'élément marxiste y était trop faible pour prendre la direction du mouvement. Une certaine ligne marxiste ne pouvait être imprimée que du dehors par le P.C. français, souvent d'une manière indirecte et peu suivie. Pareil système d'orientation politique était évidemment trop compliqué pour durer, d'autant plus qu'il ne donnait pas satisfaction aux Africains. Tout cela ne veut pas dire que la période « compagnon de route » du R.D.A. ait été dépourvue d'importance historique. Pendant quelques années, les portes del' Afrique occidentale s'étaient ouvertes aux communistes : leurs idées politiques, leurs concepts d'organisation et les théories marxistes purent s'y répandre. Cette expérience détermina même dans une certaine mesure ce qui se passa dans nombre de pays africains d'exl?ression française après l'indépendance, plusieurs organisations territoriales du R.D.A. ayant conservé l'esprit de gauche qui animait le Rassemblement dans ses premières années. Aujourd'hui, les 6. Emmanuel Mounier : L' BfJ11'1 de l'Afn'qu, noire, Paris 1948, pp. 133 et 142.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==