360 La valeur de l'analyse du mouvement du Quatre-Mai par le Dr Chou Tsé-toung ressort encore davantage à la lecture de deux autres livres 2 qui traitent des communistes chinois au pouvoir. Chou Ching-wen, fondateur de la Ligue démocratique, est un intellectuel de tradition libérale qui remplit pendant huit ans une haute fonction - quoique sans pouvoir réel - sous le régime communiste, et enfin se réfugia à Hong-Kong en 1957. Pourquoi un non-communiste qui, de son propre aveu, voyait clair dans leur propagande, s'était-il joint aux communistes dans le nouveau régime ? La raison, dit Chou, est très simple. Pendant la dernière partie de la guerre civile, le quartier général de la Ligue démocratique avait cherché refuge à Hong-Kong; après la prise du pouvoir par les communistes, il fut de nouveau transféré à Pékin et Chou, demeuré à Hong-Kong, souffrit de sa solitude. Bien que n'approuvant pas les communistes, il « pensait que, par des négociations pacifiques, un gouvernement de coalition pourrait vraiment être formé ». Cependant, ajoute-t-il, « je m'aperçus trop tard qu'on m'avait trompé ... » (pp. 40-41). Les communistes se servaient simplement des petits partis comme d'instruments, notamment pour garder le contact avec les intellectuels et autres groupes non communistes et persuader les pays étrangers qu'il existait un gouvernement de coalition. Tout cela n'est pas très nouveau, mais il est bon de l'entendre dire par quelqu'un qui a participé au drame. Le livre abonde en impressions de première main sur les communistes en action. La partie traitant des communes est particulièrement bonne; l'auteur estime qu'elles ont été établies en partie à cause de l'échec des coopératives agricoles, en partie parce que le régime voulait être prêt pour la guerre. Il offre d'excellents exemples des méthodes employées par le Parti pour assurer sa mainmise sur la pensée et la politique, de l'autocritique, de la « liquidation » des pensées (l'incident Liang Su-ming est fort révélateur) et du code moral des communistes. Dans le lexique des termes communistes établi par l'auteur, « humanisme socialiste» veut dire le droit pour les membres du Parti de tuer qui bon leur semble ; « critique et autocritique » signifient la révélation de tous les renseignements possibles sur la vie privée desgens, à utiliser comme preuves pour une arrestation ultérieure ; « patriotisme» recouvre l'amour de soi de la nouvelle classe privilégiée. Dans une narration personnelle et sincère, l'auteur brosse le tableau accablant d'une nouvelle classe dirigeante menant une guerre implacable contre son propre peuple, mais il est trop réaliste pour hasarder tout pronostic facile quant à sa disparition. 2. Chow Ching-wen: Ten Years of Storm. New York 1960, Holt, Rinehart & Winston. Roderick MacFarquhar : The Hundred Flowers Campaign and the Chinese Intellectuals. New York 1960, Frederick A. Praeger. IBiblioteca Gino Bianco ,., LE CONTRAT SOCIAL L'histoire de Chou Ching-wen est un témoignage personnel irrécusable qui atteste que l'intégrité intellectuelle survit encore en Chine malgré les communistes, et l'ouvrage de Roderick Mac Farquahr qui traite en détail de l'héphémère moument des « cent fleurs» de 1957 fournit la preuve bien étayée que Chou n'est pas le seul dans son cas. Les citations du livre de MacFarquahr, empruntées directement à la presse communiste chinoise, sont divisées en deux parties : celles qui parurent pendant la « floraison » et celles que la presse du Parti cita et attaqua plus tard pendant la campagne « antidroite » Le président Mao avait annoncé au début de 1957 que chacun était libre de critiquer le régime. Après beaucoup d'hésitations, un flot de critiques se déversa, se poursuivant jusqu'au 8 juin, date à laquelle Mao donna l'ordre de passer à la contre-attaque. Celle-ci fut marquée par de violentes dénonciations publiques des critiques et, en Chine centrale, par l'exécution de plusieurs étudiants. Pourquoi Mao procéda-t-il de la sorte? Chou Ching-wen, qui vécut personnellement ces événements avant son évasion de Chine communiste, est d'avis que le mouvement des « cent fleurs » fut dès le début une supercherie délibérée et que ce n'est pas par hasard que quelques-uns des coups les plus lourds de la campagne contre la droite devaient s'abattre sur les dirigeants des petits partis non communistes. En fait, ) l'origine de l'expression « que fleurissent cent fleurs» ne suggérerait pas une attitude insincère, car - comme le consigne le Ching Hua Yuan - ce fut jadis le commandement cynique et impérieux de l'insensible impératrice Ou, de la dynastie Tang. Mais M. MacFarquhar qui, soit dit en passant, attribue la paternité de l'expression à Mao (p. 12 ), estime que celui-ci commit une erreur colossale, qu'il est hautement improbable qu'il eût tendu délibérément un piège, car « il croyait vraiment à l'unité fondamentale du peuple chinois et pensait que les méthodes employées par lui avaient préservé cette unité» (p. 13). MacFarquhar fait valoir que le discours sur les contradictions prononcé par Mao en février 1957 et· qui précéda l'ouverture de la campagne était destiné à fournir l' « étai essentiel à une politique " libérale " durable qui empêcherait les tensions à l'intérieur de la Chine de monter au point de rendre possible une révolution du type hongrois» (p. 9). En réalité, selon Mao, le discours sur les contradictions avait été écrit vingt ans plus tôt, et c'était très certainement une nouvelle mouture d'écrits soviétiques. Pourtant, c'est en effet la Hongrie qui rendit impératif •d'amener les fauteurs de troubles possibles en Chine à se découvrir et en même temps de purger le parti communiste du subjectivisme, du sectarisme et du bureaucratisme, maux qui gênaient ses rapports avec le peuple. Comme le dit Geoffrey Hudson dans l'épilogue, les communistes chinois devaient éviter l'erreur de gouverner à la Rakosi (p. 301 ).
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