Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

revue !tistorique et critique JeJ faits et Jes iJtes Nov.-Déc. 1961 Vol. V, N° 6 UN CONGRÈS «HISTORIQUE» par B. Souvarine LE RÉCENT CONGRÈS communiste de Moscou sera peut-être «historique», comme l'affirment ses régisseurs, en ce sens qu'il marquerait peut-être une date durable dans la mémoire humaine, donc dans l'histoire contemporaine, mais on hésite à employer un terme dont les communistes font un usage par trop abusif. Là où toute affirmation creuse se prétend « scientifique » et tout incident quelconque se veut « historique », il n'y a plus ni science ni histoire. Quoi qu'il en soit, si le congrès en question prend réellement une importance historique, ce ne sera pas pour les raisons affichées (adoption du nouveau programme, condamnation renouvelée du groupe « antiparti », unité monolithique du Parti), mais par ses conséquences imprévues des maîtres de l'heure qui ignorent encore que l'avenir n'est à personne. La déchéance posthume de Staline après tant d'honneur factice et de gloire mensongère devrait pourtant enseigner quelque chose à ses épigones férus de platitudes «scientifiques » et de banalités « historiques ». Dans l'état actuel des données disponibles, nul ne saurait démêler avec certitude les mobiles qui ont incité Khrouchtchev et son équipe à déshonorer leurs prédécesseurs, incarnation de l'omniscience et de l'omnipotence du Parti pendant une trentaine d'années consécutives à la mort de Unine. Si l'on songe que Staline avait auparavant déshonoré les dirigeants dont s'était entouré Unine, il y a lieu de se demander ce qui fermente dans les têtes soviétiques capables de penser, et l'on ne peut que plaindre les professionnels, historiens et théoriciens communistes, habilités à démontrer l'infaillibilité du Parti. Nul ne sait non plus pourquoi la direction colBiblioteca Gino Bianco lective actuelle a jugé le moment opportun de dévoiler sa mésintelligence avec le partenaire chinois, les secrets du Kremlin étant presque aussi bien gardés que ceux de la Cité interdite. A ces difficultés s'ajoutent celles du langage, la pénible nécessité de subir le jargon du «marxisme-léninisme » et d'y recourir, à son corps défendant, pour traiter des phénomènes de la vie soviétique dont le monde ne peut se désintéresser. Il faudrait constamment des guillemets aux expressions en cours et l'on rougit d'employer une terminologie que la morale réprouve autant que l'intelligence. Par contrecoup s'imposent simultanément et contradictoirement des néologismes comme « déstalinisation » et « stalinisme » en réplique à la phraséologie lourde et pédante sous laquelle se dissimulent les réalités de la crise avouée sourdement au Congrès d'octobre. Et il convient de caractériser tant bien que mal comme « déstalinisation stalinienne » les épisodes qui, à cette occasion, feront date s'ils ne sont pas éclipsés toutefois par des événements ultérieurs. En déboulonnant Staline, au sens propre et au sens figuré, ses disciples impénitents et contempteurs attardés s'avèrent toujours staliniens incorrigibles. Leurs congrès sans congressistes et sans débats où pas une voix discordante ne se fait entendre (sauf, pour une fois et par accident, celle du Chinois invité) perpétuent les pratiques du stalinisme. Les votes unanimes à mains levées, garantis d'avance, contre des fantômes et des absents privés de défense sont de pure technique stalinienne : fantômes de Staline, de Béria, de Iéjov, de Iagoda innommé, absence de Molotov, de Kaganovitch, de Malenkov, de Chépilov,

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