354 sujet - surtout dans un milieu aussi chargé de suspicion que Hong-Kong - avant de me faire assez confiance pour révéler des sentiments intimes dont il n'était pas toujours fier. Et avec les sujets chinois, il fallait en plus compter avec la coutume asiatique de dire (à la fois bienséance et moyen de protection personnelle) ce qu'on croit que l'interlocuteur aimerait à entendre.» Pour compenser ces difficultés, le Dr Lifton avait un immense avantage : il avait pu interroger les sujets dès leur libération. Selon ses propres termes, « quelques jours à peine après le supplice de la réforme, ces hommes et ces femmes étaient encore sous l'emprise. Ils n'avaient p~s eu le temps de mettre une certaine· distance entre eux , et leurs épreuves, ou d'amorcer la reconstruction déformante qui suit toute pression violente. » L'ENQUÊTEdu Dr Lifton apporte peu de preuves qu'il existe quelque chose de mystérieux dans les procédés chinois de réforme de la pensée (pas plus d'ailleurs que dans les techniques russes d'endoctrinement et d'extorsion de confessions) ni qu'ils doivent beaucoup aux études de Pavlov-.sur les réflexes conditionnés ·ou à toute autre école de psychologie. Les techniques chinoises dérivent, à son avis, d'une convergence de certains concepts .confucéens - telles la « sincérité », la « culture de soi », l' « harmonie » et la « rectification de noms » ~ d'une part, et de la « théorie et pratique» marxiste-léniniste,_ de l'autre. La phase décisive de çette convergence·coïncida probablement avec le tchengfeng, ou« mouvement de réforme idéologique » · du ··P. C. chinois en I 942-44 au Yenan. Les institutions mises sur pied dans le Yenan pour réaliser cette. réforme étaient calquées sur l'Université· Sun Yat-sen de Moscou, qui avait servi de centre de formation pour. les intellectuels communistes chinois ; mais les méthqdes employées furent adaptées au « style révolutionnaire» que Mao Tsé-toung et ses compagnons avaient élaboré par · tâtonnements dans les régions rurales chinoises. 11 en résulta un système de lavage des cerveaux plus efficace que tout ce que connaissait l'i vanov de Kœstler -· et probablement plus subtil ef persuasif que ~a confiance relativement simpliste que. <;iletkine mett~it _dap.s la_privation de sommeil et· répui- $ement physiq~e. . · . . . . . Tout être humain, quelle que soit sa condition, consacre une bonne partie de ~a vie à s'adapter au milieu et à essayer de le .façonner à sa convenance. Pendant l'enfance, ces adapt~tions prennent surtout ..la forme d'expérience§·..;d'.apprentissage, au cours desquelles l'enfant est soumis à des privations cal_culéeset aux pressions.d'un milieu où les adultes donnent le ton. La nature de ces pressions et privations façonnent dans une large mesure ses croyances et s~ conduite. 4. l'appro_çhe de la maturité, il doit prendre de plus èn plus d'iniBiblioteca Gino Bianco . , L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE tiatives en manipulant son milieu - dans certaines limites « morales » et « légales » établies - plutôt que de se soumettre simplement à lui. Mais que se passe-t-il quand un Etat acquiert un tel pouvoir sur ses sujets et leur entourage immédiat qu'en manipulant le milieu qui entoure tout individu, ses agents peuvent refaçonner sa conduite et ses croyances comme s'il était redevenu un enfant? C'est ce que fait dans une large mesure le « lavage des cerveaux » décrit par Lifton : le milieu strictement vérifié exerce sur la victime des pressions irrésistibles, ne lui laissant qu'un choix très limité de possibilités de s'y adapt~r. Impossible d'échapper aux pressions, de s'évader. La victime doit se refaçonner elle-même pour survivre. Qu'elle se fasse en prison ou dans le milieu étroitement réglementé d'une université ou d'un- _collègerévolutionnaire, la réforme de la pensée se compose de d_euxéléments de base : la confession, qui implique la renonciation au « mal » passé et présent ; la rééducation, qui vise à remodeler le sujet à l'image communiste. Selon les communistes chinois, ces deux processus qui s'imbriquent constituent une expérience d' « élévation morale », d' « harmonisation » et de « thérapeut~q~e scientifique ». · 1 ·Les sujets occidentaux étudiés par le·Dr Lifton comprenaient un médecin, un savant, un homme d'affaires, un professeur et plusieurs ecclésiastiques. En se livrant à un examen approfondi des épreuves subies et de leurs séquelles, Lifton cherchait à répondre à deux questions fort différentes·. 11 s'agissait d'abord d'établir lesquels en étaient sortis apparemment convertis, apparemment résistants ou « manifestement déroutés »·. 11voulait ensuite déterminer lesquels souffraient du ·plus profond traumatisme psychologique et de· dommages .permanents. En élaborant des méthodes pour préparer des individus (par exemple, des militaires susceptibles d'être faits pris.onniers) à « résister » aux techniques · de lavage .des cerveaux, il est évidemment impor'."' tant· de bien distinguer ces deux questions fondamentales. En gros, Lifton conclut que fa. prédisposition à la réforme de la pensée dépend davantage de la· présence ou de l'absence ·d'une personnalité bien intégrée que de la profession, de 1~formation ou de facteurs comme la tendance au sectarisme. Le P. Luca, qui en sortait «· dérouté », avait pu, • après sa libération, se réadapter de façon assez satisfais.ante; --le P.. Vechten, dont cc la personnalité. avait surmonté complètement les conflits et les faiblesses complexes enge~drés par la réfopn~ de la pensée », souffrait, à son retour en Europe, . de troubles émotionnels .profonds .et d'un traumatisme psychologique ; le P. Simon, ., . . , , . . un Je~wte, avait. ete converti au connnurus1l)e e~ après sa libération continuait en quelque sorte à vivre à la fois en communiste et en prêtre ; l'évêque Barker avait apparemment résisté, mais
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