Le Contrat Social - anno V - n. 6 - nov.-dic. 1961

334 sont toutes subordonnées à une philosophie qui les dépasse presbeiakai dynamei, qui le11;est à la fois antérieure dans le temps et supérieure en dignité. Elles ont pour centre une certaine conception philosophique de l' « essence véritable » de l'homme qui fonde toute une manière d' « interpréter » et de « révolutionner » le monde sur la décision de considérer le travail, la transformation active de la nature, la reconstruction technique de la matière comme l'activité par excell~nce, comme l'activité essentielle du genre humain. C'est cette conception du monde radicale1?1ent technocratique que nous tenterons de reconstituer ici en soumettant à l'examen : 1. La proposition spéculative héritée de Feuerbach et abandonnée par la suite (implicitement répudiée à partir de 1845) que les écrits de 1844 désignent par le vocable de « naturalisme achevé » ; 2. La conception purement technocratique de la nature que Marx substitue à l' « ancien matérialisme » à partir des Thèses sur Feuerbach; 3. Le monophysisme technico-économique qu'il oppose aux anthropologies traditionnelles dans les écrits de 1844 et dans L'idéologieallemande~· 4. La critique de l' « idéologie » et le rejet des valeurs tràditionnelles qui en découle ; 5. L' eschat~log~e technici~nne . dans _laquelle s'achève et s'epwse la pensee philosophique du jeune Marx. L'examen de ces cinq thèmes majeurs nous permettra de comprendr~ ~e qui a emi:êché !Vlarx ·ae développer ~t .d'expliciter ~a p~nsee p~losophique : sa vertlg~euse tentative d ab_solu1!ser~e travail et la technique, d' « affranchir » 1 esprit humain de tout ce qui est extérieur à l' « activité matérielle pratique », rendue synonyme à la fois de l'être et de la valeur, investie des pouvoirs les plus occultes du Dieu des croyants et du Logos des philosophes, ne pouvait que déboucher ~ur le mutisme, qui est une forme du néant, ou bie? sur un activisme aussi borné que les autres, mais que les· disciples identifieront ,.sa~s trop de ~a! avec le service divin. Nous n _insisterons pas ici sur cette cruelle vengeance de l'histoire sur la doctrine qui tenait 1~ poli~que pour une <~ liénation » aussi « mystificatrice » que la religion. Bornons-nous à dire que ce n'est certainement pas par hasard que Marx a ~ôt renoncé ,à ~a philosophie et qu'il fut amene, dans le~ ecrits ~e la maturité sinon à abandonner du moms à attenuer l'ambitidn démesurée de sa prédication de jeunesse. La technique comme médiation universelle IL FAUT commencer par une triste vérité : Marx était feuerbachien... Cela paraît difficilement croyable, et pourtant c'est vrai. Lui, un des esprits les plus rigoureux de son te~ps et, P~?têtre, de tous les temps, a commence sa carr1ere Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES comme zélateur des platitudes feuerbachiennes ... Ce fut assurément une des grandes malchances de la philosophie au xixe siècle que . Marx, p~~- dant la brève période où il a eu le désir et le !oisir de philosopher, ait dû se placer dans le sillage de Feuerbach, qu'il l'ait ~o.nsidéré. co~e \e « vrai vainqueur de 1~ vie!lle philosophie.» , le « démolisseur de la dialectique et de la philosophie anciennes » 3 • Le « culte de Feuerbach » FEUERBACHest le héros de Marx pendant toute l'année 1844, année décisive où ~arx ~era sa seule tentative de formuler sa pensee philosophique. Feuerbach sera son remède antihégélien et c'est à lui que Marx dem~ndera le cadre conceptuel pour son « naturalisme ou humanisme accomplis». Les jeunes-hégéliens du Doktorklub ne peuvent-ils pas prendre position sur la dialectique hégélienne ? C'est qu'ils ~gnorent la « dialectique » du seul penseur qw, selon Marx s'est trouvé « dans un rapport sérieux et critiq~e avec la dialectique hégélienne et ait fait dans cet ordre d'idées de véritables découvertes » : Feuerbach 4 • Mais qui donc a dévoilé le mystère du système ? Feuerbach. Qui donc a anéanti la dialectique des concepts cette guerre des dieux connue des seuls philosoph;s ? Feuerbach. Qui donc a mis l'homme à la place du vieux fatras ? Feuerbach, et Feuerbach seul ~. C'est toujours dans des termes dithyrambiques que sont célébrées ,Ies « ~andes. action~ », les « découvertes », les « reelles revolutions theoriques » de ~euerb~c? 6 • « La cr!tique po~itive en général doit sa veritable fondation aux decouvertes de Feuerbach. Ce n'est que de Feuerbach que date la critique humaniste et naturaliste positive», répète inlassablement Marx 7 • C'est qu'en proclamant la réduction de la théologie et de la philosophie à l'an~op?logie, en r~enant tout à l'homme et à son mdissoluble urute avec la nature, Feuerbach a fondé le principe même de la critique radicale q~ exige qu~ l'ho~lll:e récupère enfin toutes les pwss_ancesqu il proJetai! jusqu'alors en dehors de lm, Wl?s un au-~ela fantastique. C'est. ~euerbac~ _qui a acheve la critique de la religion, condition et modèle de toute critique. 11 a montré qu'en dehors de l'homme et de la nature il n'y a rien ; que le Dieu de la religion n'est autre que l'être générique de l'homme, « aliéné », devenu étranger à lui-même , 2. NPh, p. 235 (VI, 44). 3. Ibid., p. 234 (VI, 43). 4. Ibid., p. 235 (VI, 44). 5. HF, p. 211 (II, 146). 6. NPh, p. 236 (VI, 44) ; NPh, p .. 135? (VI, 10) ; p.137; p. 235 (VI, 44), 7. Ibid., p. 134 (VI, 10).

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==