284 parti». Quelle signification convient-il de donner à l'une des tristesses de l'histoire des sciences ? L'ombre de Lénine proteste qu'elle n'a pas voulu cela. Sans choir dans un « culte » abusif « de la personnalité »,. il faut conve~r. que. la mégalomanie de Staline, promu « gerue uruversel » par la flagornerie inhérente au système, et l'arrivisme effréné d'un médiocre bureaucrate déguisé en homme de science - en fait un policier - ne sont pas pour rien dans l'affaire. Circonstances parti- ·culières, non étrangères pourtant à la nature du régime. Enfin Lénine, qui n'aurait jamais. toléré de semblables agissements, porte tout de même une responsabilité histori~ue puisq~e c'es~ lui qui, dans un moment d ivresse philosophique, a conçu la nouve~e scolastiqu~. ~près l'init}ative malheureuse, viennent les reactlons en chame que, disparu, on ne saurait contrôler. Singulière mutation que celle du léninisme philosophique en « lyssenkisme ».. Fut-~lle «dirigée »,. au .s~ns de la doctrine nntchourienne ? En dialect1cien rurègue 17 , il faut répondre à la fois par oui et par non. La bassesse du personnage Lyssenko n'exclut pas le mobile «idéologique». La doctrine mitchourinienne des « mutations dirigées» s'apparente à l'hypothèse évoluti?nniste française de Lamarck (1801), po~ la partie relative au mécanisme de la production des nouvelles espèces par act_i~ndirect_edu milieu, ~uivied'hérédité des qualites acqwses. A quoi on oppose usuellement le darwinisme (1859), doctrine de la «sélection naturelle », évolutionnisme restreint à l'action indirecte du milieu, sans intervention nécessaire de l'hérédité des qualités acquises. Marx révérait Darwin, auquel on l'avait comparé (cf. seconde préface du Capital). Mais on conçoit que le lamar~kis?te, plutôt que 1~ d~inisme, a de quoi satisfaire la fureur planificatrice de la bureaucratie soviétique : si la mutation dirigée n'avait pas d'existence expérimentale, comme tout semblait le prouver, il fallait pourtant la réinventer. Alors vint Lyssenko, flanqué du fantôme de Mitchourine, dont l'honnêteté n'est pas rétrospectivement en cause, mais qui n'avait sans doute pas entendu les données du problème lorsqu'en 1915 il prétendait réfuter les lois de Mendel sur lesquelles s'est fondé le néo-darwinisme, aujourd'hui dénoncé comme hérésie occidentale. Comment concilier l'admiration portée à Darwin par Marx avec la pr?scription du ~- winisme ? Rosenthal et Ioudine se sont tires d'affaire, avec l'élégance qui les caractérise, en niant l'existence d'une relation quelconque entre l'ancien et le nouveau darwinisme 18 • 17. Les Rurègues, fondateurs du futur Empire des tsars, étaient comme on sait des Normands. 18. Entendons-nous, en effet, sur ce que Darwin n'a jamais rejeté explicitement l'hypothèse de Lamarck sur l'hérédité des qualités acquises. Mais, pour lui, la transformation de type lamarckien ne pouvait être le mécanisme principal de l'évolution commandée par l'action indirecte du milieu. A cette époque, il n'y avait pas d'expériences probantes dans un sens .ou dans l'autre. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL AP~S ces rappels historiques~ une q~_estion v1ënt normalement aux levres. S il est vrai que la libre recherche scie1:1tifiquea été étouffée en U.R.S.S. par la scolasttque marxiste-léniniste, d'où procèdent les succès obtenus dans les domaines de l'armement atomique, puis de la navigation spatiale, témoignage d'une avance sans doute exagérée par les thuriféraires, mais indubitable relativement aux résultats obtenus au pays de la libre entreprise ? Observons d'abord que si l'on ne veut pas écorcher le langage à la façon des gazetiers, il convient d'éviter de célébrer comme découverte « scientifique » l'invention d'un vaisseau spatial dont le principe, connu de Jules Verne, ne suppose aucun autre fondement théorique que celui de la physique de Newton. Le satellite artificiel est une admirable réussite technique, succès de la science appliquée grâce aux énormes moyens financiers que l'étatisme économique permet d'employer où bon semble, non une découverte de la sciencepure ouvrant de nouveaux horizons à l'esprit humain, comme celles qui ont fait la gloire de Copernic, Galilée, Kepler, Newton; de nos jours celle d'Einstein, de Planck, de Heisenberg, etc. Où sont les lois et théories importantes établies par des Soviétiques (en dehors de Lyssenko... ) ? S'il se trouve quelque part un Kepler, le secret est bien gardé. Fors Mitchourine, Je dictionnaire soviétique doit se borner à des noms comme ceux de Lobatchevski, de Mendéléev, etc. Par la force des circonstances (les dates...), ceux qui portaient ces noms n'ont pu être inspirés dans leur œuvre par un certificat régulier d'inscription au Parti. Et pourtant quel temps fut jamais plus fertile en génies scientifiques révolutionnaires que le nôtre qui, depuis l'aube du siècle, a connu deux révolutions comparables à celles qui, dans un passé plus lent, ont fait la renommée de Copernic puis de Newton. Evoquant la physique relativiste et celle des quanta, nous ne comptons pas la plus discrète révolution mathématico-logique due au génie de Godel. Où sont les noms des découvreurs soviétiques en matière de science pure ? Quelques prix Nobel, peut-être, mais récompensant des trouvailles partielles, ces savants éminents n'ayant pas été autorisés à toucher à l'ensemble par crainte de« bouleversement radical». Puisque le génie scientifique - l'histoire de la pensée le certifie - est indépendant de toute question d'appartenance ou d'origine nationale, raciale, confessionnelle ou· même sociale, il n'y a pas lieu de supposer que l'esprit souffle moins en U.R.S.S. qu'ailleurs. Mais, étroitement confiné, il ne dispose ni à l'entrée ni à la sortie des issues suffisantes' pour produire des courants d'air. Il s'échappe pourtant par la porte de la Technique. Un marxiste-léniniste remontrera que, nous abandonnant à de piètres billevesées sur la « science pure », nous dévoilons notre tare bourgeoise. La science prolétarienne, science appliquée tant qu'on voudra, ne se propose plus d' « inter-
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