Le Contrat Social - anno V - n. 5 - set.-ott. 1961

K. PAPAIOANNOU sous silence et d'éliminer complètement le rôle dirigeant, éducateur et organisateur du Parti à l'égard des syndicats du prolétariat » (p. 831). A partir de cette date, la question du contrôle et de la gestion ouvrière fut rayée de la propagande gouvernementale (aussi bien que des «plates-formes» de l'opposition officielle de « droite » ou de « gauche », en tant qu' « incompatible avec l'appartenance au parti communiste russe» (p. 832). Aussi bien le premier que le second pas sur la voie du socialisme n'étaient désormais évoqués que dans les discussions entre exilés politiques dans les innombrables camps de déportation du Nord, du Sud, de l'Est et de l'Ouest. Le despotisme du capital d'Etat EN REVANCHEle, régime a si bien démontré qu'il ne reculait pas devant les « moyens barbares» pour « accélérer l'assimilation du capitalisme d'Etat» qu'il a fini par ressusciter, sous couvert de « discipline socialiste du travail », le même système d' «autocratie du capital » et d'exploitation forcenée des travailleurs qui, il y a presque un siècle et demi, avait inspiré à Engels cette réflexion indignée : On me dira qu'une discipline aussi stricte n'est pas moins nécessaire dans l'industrie que dans l'armée. Bon, c'est possible; mais qu'est-ce alors qu'un ordre social qui ne peut subsister sans cette ignominieuse tyrannie 17 ? Comme exemple particulièrement cruel de cette « ignominieuse tyrannie», de l'abject « esclavage où la bourgeoisie a enchaîné le prolétariat », Engels citait un règlement d'usine de 1844, selon lequel. .. .. . à quiconque arrive à l'usine trois minutes en retard on retient un quart d'heure de salaire et à quiconque est en retard de vingt minutes, un quart de la journée (loc. cit.). Que dirait-il de la loi soviétique sur la « discipline socialiste dans le travail » ? Si dans les bagnes du capitalisme primitif un retard de vingt minutes entraînait la perte du quart du salaire journalier, la loi soviétique (imposée, pendant les années 50, à la Pologne, puis aux autres « démocraties populaires ») permettait d'enlever le salaire d'une journée entière à tout ouvrier arrivant avec plus de vingt minutes de retard à l'usine. En 1895, Engels dénonçait avec des tremblements d'indignation l'impossibilité où se trouvaient certaines catégories d'ouvriers ... .. . de se protéger suffisamment contre la pluie ou de changer les vêtements mouillés contre des vêtements secs - toutes choses qui engendrent constamment des rhumes (op. cit., II, 42). 17. Enaels : La Situation dei classes laborieuses en Angl,- tnr,, Paria 1933, II, 81. Biblioteca Gino Bianco 271 Que dirait-il du système du travail forcé ? Lui qui faisait usage des rapports médicaux sur les usines, il n'aurait pas manqué de relever l'article des Izvestia du 20 décembre 1937, relatant la construction par les déportés d'une voie ferrée en Sibérie et s'achevant sur cette note triomphale: Jusqu'à présent, on pensait que dans ces régions la saison de construction ne dépassait pas 100 jours par an. L'hiver y est très froid, 50° au-dessous de zéro. M.~::; !~s constructeurs ont prouvé que, même dans ces conditions, on peut travailler toute l'année sans interruption. «Il n'est pas étonnant, commente Ch. Bettelheim (op. cit., p. 167), que le bruit ait couru en U.R.S.S. que sur les 500.000 déportés employés à ce travail, seuls quelques dizaines de mille avaient survécu» ... Dans un passage du Capital (I, 246), où il est question - déjà - de la « Russie, libératrice du monde » ( « Sous prétexte d'abolir le servage, la libératrice du monde, la Russie, l'a érigé en loi»), Marx parle du «sans-façon de l'ironie typiquement russe». Qu'aurait-il dit de l'humour noir de Staline se félicitant, lors de la terreur de la «collectivisation» forcée, d'avoir « aidé les paysans à entrer dans les kolkhozes » 18 ? Comme exemple d'humour russe, Marx citait le Code de la corvée de 1831, lequel fixait à douze le nombre des jours corvéables tout en précisant qu'il fallait entendre par douze jours de travail le produit d'un travail effectif de trente-six jours ... Qu'aurait dit Marx du troudodien (unité de mesure du travail dont dépend la rémunération des kolkhoziens) ? Le troudodien qualifie uniformément de « journée de travail » une heure de travail d'un président de kolkhose et dix heures de travail d'un simple kolkhozien (la différence peut être beaucoup plus considérable), ce qui aboutit au résultat que les paysans parqués dans la catégorie la plus défavorisée doivent travailler quaranteneuf jours pour obtenir ce que les plus privilégiés reçoivent en un jour de labeur 19 • Que dirait-il du véritable système de servage d'Etat qui, sous prétexte d'émancipation des paysans, a imposé des minima de travail obligatoire dans les kolkhozes, accaparant la majeure partie du temps de travail des kolkhoziens (en 1938 les 87,8 %), alors que le principal revenu de l'écrasante majorité de ceux-ci est constitué par le produit de leurs lopins individuels ? Efficacité de l'utopie TEL FUT le destin des mesures « simples et allant de soi » minutieusement élaborées par Lénine en 1917. A relire aujourd'hui L'Etat et 18. Staline : Les Questions du Uninisme, II, 125. 19. Cf. Henri Wronski : Le Troudodicn, Paris 1957, p. 66. Cet ouvrage a ~t~ analysé par Paul Barton in Contrat social, mai 1958.

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