Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

130 Quand, après la mort de _Lénine, une _lutteintestine à Moscou opposa Staline à Trotski, le chœur unanimedes ignorants et des radoteurs en Occident, c'est-à-dire les « guides de l'opinion publique», salua en Staline l'homme raisonnable du cc socialisme dans un seul pays » et honnit en Trotski le théoricien dangereux de la cc révolution permanente ». Encore de nos jours, cette insanité réapparaît dans des livres indigestes. Quand Staline fit déporter et massacrer des millions de paysans et d'ouvriers, quand il mit en scène les cc procès en sorcellerie » pour exterminer les derniers communistes et terroriser tout un peuple, instaurant la torture et la peine de mort en permanence, l'admiration ne cessa de croître dans les pays démocratiques envers la plus sinistre brute qu'ait connue l'histoire. Quand Staline pactisa avec Hitler pour provoquer une nouvelle guerre européenne, dépecer la Pologne, s'emparer des Etats baltes, anéantir les Juifs, annexer des territoires et des populations sur toutes ses frontières, les « milieux bien informés » à Paris, à Londres, à Washington et ailleurs n'en crurent pas leurs yeux ni leurs oreilles. Quand le maître-fourbe du Kremlin fut double-crossed par son complice, laissa envahir la Russie jusqu'à la Volga et le Caucase, sacrifiavingt-cinq millions d'hommes pour reprendre le terrain perdu, on le sacra génie militaire et grand philanthrope dans les démocratiesoccidentales.On osa, en Amérique, l'appeler « Uncle Joe ». Ses pitoyables victimes furent vouées aux gémonies. Son nom déshonore toujours en France des rues et dès places. On glorifieencore l'innommable carnage de Stalingrad, œuvre atroce de deux paranoïaques. Quand Staline imagina le complot des médecins, des « assassinsen blouse blanche », pour perpétrer dans son empire un monstrueux pogrome final, les « milieux bien informés » en Occident ne trouvèrent pas à redire, estimant dans le meilleur cas qu'il n'y a point de fumée sans feu. Après la mort du tyran sanguinaire,la réhabilitation des médecins qui avaient survécu aux tortures donna lieu dans les mêmes milieux à des airs entendus et à des articles sensationnels, non à un examen de conscience. Il fallut le discours secret de Khrouchtchev au congrès du Parti en 1956pour mettre en doute la légende insensée du génial « Père des peuples ». Encore ne manqua-t-il pas de bonnes âmes pour tax~r. Khrouchtchev d'exagération, alors que ce stahnien.authentique, invétéré, n:avait avoué pour 1~ beso~s de sa cause qu'une infime partie des crimes mnombrables de son maître aussi lâche que cruel. Quand la succession de Staline fut ouverte, en mars 1953, les acolytes du défunt s'étaient empress!s ~'écarter M~enkov du_pouvoirsuprême, le Secretanat du Paru. Ils avaient leurs raisons de.craindre 1~ pl~s proche collaborateur du patron qw les terronsa si longtemps, et de lui préférer un Khrouchtchev relativement rassurant. Une fois de plus, les cercles dirigeants, les « milieux bien informés » et autr~ « observateurs » attitrés donnèrent Biblioteca Gino Bianco LB CONTRAT SOCIAL leur mesure et virent en Malenkov l'héritier de Staline, sous prétexte qu'il accédait au poste secondaire de président du Conseil des ministres ( organe subordonné au Comité centre! du Parti, donc au Secrétariat). Il faudrait des pages et des pages pour relever les idées fausses. admises en Occident au sujet de Malenkov, de ses vues sur la guerre, sur l'industrie et le reste. Idées fausses, ipsofacto, sur Khrouchtchev et sur les réalités du pouvoir qui entretient le trouble dans le monde. Quant aux écrits prétentieux sur « l'ère Malenkov »ou « l'heure Malenkov», il suffit d'en mentionner les titres pour en faire justice. On en arrive à la phase de l'histoire soviétique où Khrouchtchev tient la vedette. Comme pour la période précédente, nos « cercles dirigeants » et nos « milieux bien informés », qui naguère avaient vu en Staline un bienfaiteur de l'humanité et cru en la promesse communiste du « pain gratuit » avancée par des économistes distingués, adoptèrent tous les sophismes possibles et les contes à dormir debout qui alimentent à l'Ouest la méconnaissance de l'Est. Au catalogue des poncifs à la mode ont figuré successivement le rôle maléfique personnel de Béria, le prestige militaire de Joukov, l'influence politique des maréchaux, l'avènement de la technocratie et du bonapartisme, le challenge ou défi économique et, bien entendu, le libéralisme de Khrouchtchev. Les fusillades de Tiflis et les tueries de Budapest, sans compter les violences de langage et les menaces de recourir aux fusées, ne confirmaient pas précisément ce libéralisme, mais les explications abondent : Khrouchtchev, omnipotent autant que libéral, ne fait pas exactement ce qu'il veut ; il est en butte à un « théoricien » nommé Souslov (dont personne ne connaît la _ moindre théorie) ; il ne saurait se soustraire à la surveillance soupçonneuse d'un maréchal nommé Malinovski ; il doit aller aux ordres à Pékin et rendre des comptes à Mao Tsé-toung ; pour comble, enfin, il a maille à partir avec un redoutable Albanais. Voilà ce qu'on lit dans la presse bien-pensante qui puise aux « sources autorisées » et reflète l'opinion des cc hautes sphères» dirigeantes. Voilà pourquoi Khrouchtchev perd chaque occasion de se taire et cherche querelle aux démocraties à propos de Berlin. On s'est borné à résumer ci-dessus à grands traits un état des choses qui aide à comprendre la tournure des relations entre ce qu'il est convenu de désigner par Est et Ouest, tournure caractérisée par l'initiative incessante des uns et la défensive embarrassée des autres. On pourrait détailler ce canevas à l'infini, l'enrichir de maintes citations· et références. Il prouve assez que la soviétologie, ridiculisée jusqu'à présent par trop d'amateurs désinvoltes, devrait devenir une discipline sérieuse . afin que les tenants de la civilisation coJ1damnée par Khrouchtchev sachent, sans guerre, démentir son espérance « de vivre assez pour voir le drapeau rouge ~otter partout à travers le monde ». B. SouvARINE.

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