Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

162 d'augmenter le niveau de la production. De cette façon, on obtient parfois avec un seul travailleur d'élite plus de produits d'élevage que dans l'exploitation tout entière. Ainsi dans le district de Borovitchi, région de Novgorod, le porcher Popov avait à lui seul livré à l'E~at autant de viande de porc que les 12 kolkhozes du district. Dans le district de Kormilov, région d'Omsk, la fameuse porchère Tatiana Perechivko avait fourni une fois et demie autant de viande que les 7 kolkhozes du district. Or, dans l'émulation socialiste, l'essentiel n'est pas de se distinguer par des records personnels, mais de faire appliquer par de larges masses l'expérience acquise par les travailleurs d'élite (Pravda, 22 janv. 1961). Notons que Polianski reproche aux cadres moyens et subalternes des méthodes que le gouvernement soviétique et le Parti pratiquent dans les domaines les plus divers - sports, énergie nucléaire, fusées, astronautique, - à la recherche de su~cèsspectaculairespour alimenter la propagande. LA CAMPAGNE que la presse soviétique a menée sur le même thème pendant quelques semaines après la session du C.C. de janvier dernier nous apporte encore quelques précisions sur la mentalité des cadres, talonn~ par les exigences du plan et de l' « émulation socialiste ». Dans le district de Rovno, trois présidents de kolkhozes procédèrent à une opération qui rappelle Les Ames mortes de Gogol : le kolkhoze Progrès vendit 250 têtes de bétail au kolkhoze Aurore du communisme, qui les revendit aussitôt au kolkhoze Pérémoga, auquel le kolkhoze Progrès les acheta. Cette permutation avait permis à chaque président d'inscrire ce bétail dans le formulaire n° 24 et de le faire figurer dans le compte de la production de viande par 100 ha. de terres ... Plioutinski, président du kolkhoze Aurore du communisme, fit mieux. Il s'arrangea pour faire figurer dans le rendement le bétail que les agents du bureau de stockage de viande achetaient dans les villages voisins : deux débrouillards, Chem et Olis, lui cédaient les reçus de livraison du bétail qu'ils achetaient ailleurs, tout en gardant les bêtes. Ces bons permirent à Plioutinski de majorer de 22 quintaux l'indice de la production de viande par 100 ha. La combinaison astucieuse de ces trois nouveaux Tchitchikov finit par être dévoilée et les kolkhoziens réclamèrent une punition exemplaire. Mais le comité du Parti de la région de Rovno trouva inopportun d'ébruiter ces fraudes : il chargea le comité de district de régler l'affaire en famille et tout fut tourné à la plaisanterie (Pravda, 25 janv. 1961). Pour un président de kolkhoze ou un directeur de sovkhoze, il n'est guère facile d'être honnête sous le régime soviétique.Les indices de rendement des exploitations affectent ceux du district, de la région, de la république fédérée. A tous les échelons, les fonctionnaires du Parti et de l'administration sont responsables du rèndement et ont intérêt à grossir les indices. Voicice qui se passe dans le di~trictd'Alexiéievka, région de Kharkov: ·::-· - Nos kolkhozes fournissent tous les mois au district des renseignements exacts, que les indices obtenus Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE soient bons ou mauvais. Mais, dans ce çlernier cas, le président et le comptable du kolkhoze sont aussitôt convoqués... On leur demande d'apporter avec eux quelques exemplaires vierges du formulaire n° 24 et alors commence la recherche des moyens d' « arrondir », d' « élargir » les indices insuffisants. En 1960, on avait ainsi majoré de 30 tonnes la production de lait de deux kolkhozes. Le troupeau d'un troisième s'était accru sur le papier de 18 vaches. Comment trouver ces additifs ? C'est bien simple : il suffit d'inscrire au rendement du troupeau collectif le lait des vaches privées que les kolkhoziens vendent au kolkhoze, ou de mentionner que le lait supplémentaire fut utilisé pour nourrir des veaux qui n'existent point (Pravda, 26 janv. 1961). Devant ces accusations, infiniment plus nombreuses dans la presse de province que dans celle ~ de la capitale, les autorités locales tâchent de se protéger en interdisant à leurs subordonnés de donner aucun renseignement aux correspondants ou de leur montrer aucun registre. En U.R.S.S., on est « patriote de son district », de sa région, de sa république, et la défense de l'honneur local se confond avec la défense des intérêts personnels du petit clan des dirigeants du cru qui se couvrent et se soutiennent mutuellement. Voici ce qu'on trouve à l'échelon d'une république fédérée quand les autorités de Moscou se décident à voir les choses de près. Au Tadjikistan... ...les dirigeants de la république avaient commis de lourdes fautes politiques... Au cours de ces trois dernières années, le plan de stockage du coton n'avait jamais été exécuté, alors que tous les ans on rendait compte de son exécution avant terme... Il fut établi que les principaux organisateurs de ces actions malhonnêtes étaient T. Ouldjabaev, premier secrétaire du C.C. du P.C. du Tadjikistan, N. Dodkhoudoev, président du Conseil des ministres... Les hommes - chargés de la besogne ignominieuse d'organiser les fraudes et les faux par majoration des chiffres étaient choisis et promus par Ouldjabaev en raison de leur servilité, parce qu'ils étaient démunis de principes et flagorneurs et non pas à cause de leurs capacités politiques ou leur compétence professionnelle. Ils ne pensaient point aux intérêts de l'Etat, au bien du peuple, à l'honneur du Parti, et ne cherchaient qu'à jouir d'une renommée factice et à consolider leur carrière. Tout d'abord on fabriquait de fausses données sur l'exécution du plan en maquillant les chiffres, on ex~rçait une pression sur les présidents de kolkhozes et sur les directeurs d'usines de nettoyage du coton. Ensuite on faisait une énorme réclame, un battage extraordinaire autour de ces données : on organisait des réunions solennelles, on y faisait force discours louangeurs, des télégrammes de félicitations arrivaient en masse .•. Les dirigeants de la république, après avoir jeté de la poudre aux yeux par leurs comptes repdus mensongers, ne se souciaient de rien d'autre et laissaient aller au petit bonheur la récolte du coton... Les cadres étaient trop souvent recrutés parmi les compatriotes, parmi les parents et compères dévoués, d'où le népotisme, la caution solidaire, la pénétration dans les organismes du Parti et de l'administration des mœurs étrangères à l'esprit communiste, la répression grossière de toute critique. ...Certains dirigeants protégeaient ouvertement .des escrocs, des chevaliers d'industrie et des pilleurs de la propriété d'Etat et des kolkhozes (PrafJda, 18 avril 1961).

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