160 que coûte le plan de production et de s'engager, en outre, à le dépasser. Or, bien souvent, les indices imposés dépassent les possibilités locales en maind'œuvre et en matériel technique. D'autre part, les cadres ne peuvent contraindre les kolkhoziens et les ouvriers des sovkhozes de travailler sans relâche au rythme des « brigades·de choc du travail communiste ». Les paysans opposent toujours la force d'inertie et réservent une bonne part de leur énergie à_ leurs lopins individuels et à leur bétail privé. Les dirigeants locaux doivent donc recourir à toutes sortes de faux en écritures, fraudes et tricheries pour que le plan soit accompli sur le papier. Cela se fait depuis des années à tous les échelons hiérarchiques. Tous participent à cette entreprise collective de mystification des autorités centrales, tous se couvrent mutuellement par des contreassurances en chaîne. Cela peut durer fort longtemps, tant que la fraude ne devient par trop flagrante ou qu'une dénonciation ne parvient à Moscou. Un exemple caractéristique de cette situation est fourni par le dialogue suivant qui s'est déroulé au Comité central de janvier 1961 entre Khrouchtchev et 1. R. Razzakov,premier secrétairedu P.C. de Kirghizie, qui lisait son compte rendu à · la tribune : Razzakov : ... Nous devons encore constater de graves lacunes et erreurs dans la formation et l'éducation des cadres. Même chez ceux qui occupent des postes de direction les faux en écritures ne sont pas rares. Khrouchtchev : Les coupables doivent être chassés du Parti et traduits en justice. Il faut les punir sans égards pour leurs fonctions. Si nous n'y mettons pas bon ordre, les plans seront exécutés dans les statistiques, mais les produits manqueront. Tout le monde sait qu'avec les données statistiques on ne peut p~s faire de crêpes. Razzakov : Chez nous, certains dirigeants prennent des engagements élevés, mais au lieu de s'employer à les tenir, ils fraudent de façon criminelle en achetant les produits qui leur manquent à la population ou aux magasins d'Etat. Pour ces pratiques, N. S. Khrouchtchev. ava~t _soumis le P.C. de Kirghizie à une critique sévère mais Juste dans les thèses de son discours au Comité centr~l. En effet, Issaev, premier secrétaire de la région de Tian-Chan, avait commis le crime d'ordonner aux dirigeants des districts et kolkhozes d'acheter du beurre dans les magasins et de le livrer à l'Etat à titre de fourniture de lait. Pour ces agissements antiparti, nous avons exclu Issaev du Parti et l'avons destitué de son titre de ministre de l'Intérieur (Pravda, 14 janv. 1961). Quand on se rappelle la satisfaction triomphante avec laquelle Khrouchtchev avait annoncé urbi et orbi en décembre 1959 que les Etats-Unis étaient déjà distancés par !'U.R.S.S. dans la production d~ beurre par tê~e ~'h~bitant a, on comprend la v1o_lenced~ ~on 1~1tat1on~onn:e.cette pratique, qw ne se limite pomt à la Kirghizie. A une précé~ dente séance du Comité .central, Polianski, prési- . . 3. Cf. notre_ article : « Progrès de l'élevage soviétique en 1959 », in Est et Ouest, Paris, n° 238, ·1-15 juin 1960. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE dent du Conseil des tn1rustres de la Fédération de Russie (R.S.F.S.R.) dénonçait lui aussi les· dirigeants coupables... . · ...lesquels, afin de faire illusion et présenter des comptes rendus triomphants, trompent le Parti,. recourent au bluff, aux faux en écritures et font figurer dans leurs rapports une production qui n'existe pas et qui n'a pas été livrée. Pareils faits furent constatés, entre autres, dans les régions de Yaroslav, Kirov, Riazan, Lipetsk (Pravda; 12 janv. 1961). On voit que le maquillage des statistiques 4 est · tout aussi répandu dans l'agriculture que dans l'industrie. Mais en matière agricole il est particulièrement nuisible au Parti, car la population s'aperçoit plus facilement du décalage entre les résultats " annoncés et la réalité quand elle constate une pénurie de vivres et s'irrite des intermittences dans les arrivages. Cette constatation porte un grave préjudice à la propagande intérieure et au prestige des autorités. Or cette façon de jeter de la poudre aux yeux n'est pas la seule : Il arrive aussi qu'une république fédérée ou une région rende compte de l'exécution du plan de stockage de blé et le lendemain demande à l'Etat des semences et du grain pour nourrir le bétail. Ainsi la R.S.F.S.R. en 1959 avait livré I milliard 643 millions de pouds de blé et en avait repris à l'Etat 361 millions, soit 22 % de la quantité livrée ... Il existe encore, malheureusement, beaucoup de dirigeants (...) qui s'efforcent d'être les premiers à rendre compte de l'accomplissement de la livraison des produits agricoles, et se présentent à l'opinion publique comme un modèle de ponctualité. A cette fin ils vident les réserves de grain, prennent non seulement les céréales et le fourrage, mais aussi les semences. Une fois leur compte rendu établi, ils demandent à l'Etat ces mêmes semences et ce fourrage ... Que dire de tels dirigeants, qui souvent se disent communistes ? Seuls les ennemis de l'Etat socialiste peuvent agir ainsi. De tels hommes ne se soucient point de la situation de leur district, du kolkhoze, de la région. Ils ne considèrent que leur situation personnelle (...) ils ne s'inquiètent que de sauver la face et se fichent des intérêts du Parti, des intérêts du peuple (Pravda, 22 janv. 1961). Remercions Khrouchtchev d'avoir si nettement souligné un trait ess~ntiel de la mentalité des cadres. Bien entendu, il lui est impossible d'admettre publiquement que cette mentalité soit inhérente au régime, d'où la fin de sa diatribe : Est-ce ,que ce sont des membres du Parti, est-ce que ce sont des combattants, des constructe:µrs du communisme ? Non, ce sont des hommes qui se sont fortuitement glissés dans le Parti ... (ibid.) Khrouchtchev nous indique ensuite un autre moyen de « sauver la face » et de sauvegarder sa tranquillité personnelle, largement pratiqué par les cadres soviétiques : ·4. Cf. notre article : « Statistique- et propagande ,, in Contrat social, janv. 1961.
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