Le Contrat Social - anno V - n. 3 - mag.-giu. 1961

136 En éliminant cette prémisse socio-historique, Mao et ses compagnons purent éliminer la conclusion logique selon laquelle leur régime, comme celui de !'U.R.S.S., représente une régressionvers un despotisme oriental plus fort et ultra-réactionnaire. En adoptant le schéma soviétique d'un développement rectiligne, ils dépeignent la Chine comme passant «progressivement » d'un prétendu passé féodal à un stade inférieur,· puis supérieur, de «socialisme ». Par ces manipulations doctrinales, ils séparent leur régime aussi nettement des pays «capitalistes » (et des pays sous-développés) qu'ils l'associent aux autres pays «socialistes», l'Union soviétique et les «démocraties populaires» d'Europe orientale. Du point de vue marxiste originel, cette prétention au socialisme est parfaitement insoutenable, mais elle exprime un fait institutionnel important. En U.R.S.S. comme en Chine continentale, les dirigeants communistes ont instauré d'emblée un régime semi-technocratique, l'État despotique s'emparant du gros de l'industrie moderne. Avec la collectivisation de l'agriculture, ils établirent un régime technocratique total, l'Etat despotique prenant alors en charge l'agriculture en même temps que l'industrie, soumettant ainsi toujours davantage à son emprise la vie personnelle des individus et. les idées. Sur cette base apparut un type nouveau de classe dirigeante, une bureaucratie exclusiviste qui, à l'intérieur de son domaine, a détruit tous les groupes rivaux (politiques, économjques, intellectuels et religieux) et qui s'efforce d'anéantir toute espèce de société indépendante «ouverte », en dehors de ses limites. D'où le jugement porté par Khrouchtchev sur les rapports entre les P.C. de l'U.R.S.S. et de la Chine:« La notion de classe des deux partis est la même. » Et l'on peut comprendre que le même Khrouchtchev ait admis que les deux partis sont unis par leur «solidarité de classe» (Rapport politique au XX]e Congrès du P.C. de !'U.R.S.S., janvier 1959). Cette solidarité de classe est également démontrée par l'attitude adoptée par Mao et Khrouchtchev envers le «colonialisme». A force de répéter la thèse d~ Lénine suivant laquelle les colonies son! e~sentiellement le produit de l'impérialisme capitaliste de monopole, les idéocrates chinois et soviétiques passent sous silence la tendance à un colonialisme capitaliste libéral que Marx devant Ie ~om~ortement britannique aux Indes: reconnaissait des 1853 ; de même qu'ils nient ,e1:frontéme1;1tl'existence de la politique coloruale menee par les bureaucrates monopoleurs de !'U.R.S.S. et de la Chine. Là comme ailleurs, Mao renie grossièrement les assu~.an~es.qu'~l. avait données. En 1931, alors qu t1 etait president des soviets en Chine centrale, il promettait à toutes les minorités national~s « le droit de se séparer complètement de la Chine et de f o~e: ~es Eta!s indépendants ... Tous les Mongols, Tibeta1ns, Miao, Yao Coréens et autres vivant sur le territoire de la èhine (...) Biblioteca Gino Bianco-- LE CONTRAT SOCIAL pourront à leur convenance soit se .joindre à l'Etat soviétique chinois, soit faire ·sécession et former leur propre Etat.» En 1936, Mao réitéra sa pro~esse et mentjonna de nouveau la Corée et le Tibet en y ajoutant Formose *. Aujourd'hui, de nombreux commentateurs prennent pour cible l'impérialisme communiste. Mais ils se limitent en général aux pays de l'Europe orientale sous la botte, oubliant que longtemps avant que les dirigeants soviétiques n'aient occupé ces pays ils avaient mis la main sur des régions d'Asie centrale qui, selon Lénine, avaient été des colonies tsaristes, et que les communistes chinois ont soumis les minorités nationales auxquelles ils avaient promis toute leur .aide pour réaliser leurs «liberté et autonomie complètes ». Le nouvel impérialisme de Mao ressemble peu à la forme d'autorité, relativement légère, que la Chine précommuniste imposait aux peuples dépendants ; il est encore plus éloigné du colonialisme pratiqué en Inde par les Britanniques et qui aujourd'hui se liquide de lui-même. Sous le régime prétendument anticolonial de Mao, il n'y a pas place pour un nouveau Gandhi, un nouveau Patel, un nouveau Nehru. Comme celui de la Russie soviétique, le colonialisme de la Chine rouge est total. Et c'est bien pourquoi il ne fait que cimenter davantage la solidarité de classe entre Pékin et Moscou. Mao, qui accorde à Khrouchtchev un appui inconditionnel pour sa politique coloniale au Turkestan soviétique et en Hongrie, reçoit de Khrouchtchev un a~pui tout aussi inconditionnel pour sa propre polittque en Mongolie intérieure, en Chine du Sud-Est et au Tibet. Certes, la solidarité sur les problèmes essentiels n'exclut pas des dissemblances sur des questions secondaires. De telles dissemblances se sont manifestées assez souvent avant la fondation de la République populaire de Chine et ont eu lieu ensuite. Cependant les plus récentes proviennent de ce que le régime de Mao a vu le jour non par l'entremise des armées soviétiques, comme ce fut le cas en Europe orientale, mais directement par les efforts des armées rouges chinoises. Pékin n'est pas un satellite de l'Union soviétique, mais un partenaire (un partenaire cadet) dans un nouvel axe totalitaire transcontinental. L'histoire du premier Axe totalitaire montre que pareille constellation permet toutes sortes de conflit~.Ainsi quand Hitler occupa l'Autriche, Mussolini massa ses troupes sur le Brenner, à la frontière autrichienne. Mais cette histoire montre également que l'unité des intérêts totalitaires a plus de poids que des désaccords~même graves. La concentration sur le Brenner demeura · un geste sans conséquences : lors de la crise • Cf. ·Karl A. Wittfogel : « The Influence of LeninismStalinism on China », in The Annals of the Academy of Political Sdence, CCLXXVII, 1951, p. 33.

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