Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

LE CONTRAT SOCIAL abrégée, du professeur W. W. Rostow. A peine est-il besoin d'ajouter que la Pravda n'a jamais publié cette réponse. CoMMENTAIRB DB G. J OUJCOV L'auteur de cc surprenant document, le professeur Rostow, de Cambridge, disciple avoué de Keynes, propose sa propre théorie des stades de développement de la société moderne, théorie qui fait totalement abstraction du concept de la lutte des classes et des formations sociales. Il écrit : On peut faire entrer toutes les sociétés dans cinq catégories économiques, à savoir : la société traditionnelle [il ressort de la suite que ce qu'il nomme société traditionnelle n'est autre que le féodalisme]; la société de transition, dans laquelle les fondations du changement s'établissent ; la société dans le processus décisif du « démarrage » ; la · société qui mûrit et dans laquelle de nouvelles méthodes et conceptions se propagent dans toute l'économie; enfin la société parYenue à l'âge de la haute consommation de masse. Après avoir exposé sa théorie avec beaucoup de verve, le professeur embrasse du regard l'assistance, satisfait de lui-même, tel un prestidigitateur à l'issue d'un tour de passe-passe. Vous voyez cette balle - passez muscade, elle a disparu. Il y avait une lutte de classes, il y avait des révolutions, les formations sociales surannées cédaient la place à des formations jeunes, progressistes - et maintenant il ne reste rien du tout. « Les communistes héritèrent d'une économie qui avait déjà démarré», écrit le professeur Rostow. Mais il se rend compte qu'il n'y a pas moyen d'échapper aux faits. Force lui est d'admettre que le développement économique de l'Union soviétique est plus rapide que celui des États-Unis. Sans doute, écrit-il, la production d'acier russe approchet-elle la production américaine, de même qu'avec le temps les retards historiques de productivité devraient diminuer. Et alors ? Pourquoi l'Union soviétique n'aurait-elle pas une industrie égale ou même supérieure à celle des ÉtatsUnis ? .•• C'est une grande nation ... La bécassine donne de la voix : elle a peur. Il semble etre allé trop loin dans sa tentative pour déguiser les stigmates de honte du capitalisme en mettant . sur le même plan le$ sociétés parvenues à maturité des ÉtatsUnis et de l'URSS. Après tout, son ouvrage veut être un manifeste anticommuniste. Aussi lui faut-il changer de répertoire. Rostow s'évertue à prouver que l'Union soviétique est incapable de procurer à ses peuples un niveau de vie élevé. Pour appuyer ce thème de la propagande bourgeoise, réfuté depuis longtemps, il raconte toutes sortes de sottises sur les objectifs militaires des Soviétiques et sur l' « exportation de la révolution». Pourquoi Rostow ment-il de propos délibéré ? Les oiseaux chanteurs du marécage capitaliste ont un sort peu enviable. Pour gagner leur pain amer, il leur faut boire toute honte et étouffer leur conscience. Ils mériteraient notre pitié s'ils ne se sentaient pas aussi à l'aise dans leur marais. · La bécassine pousse un cri strident. Il lui faut d'une manière ou d'une autre justifier le titre de son manifeste anticommuniste ; et de se lancer dans une attaque contre le marxisme en affirmant de manière impudente que Marx avait tort de qualifier de rapace le système fond~ sur la propriété privée des moyens de production. n &:nt ainsi : C'est dans la marche à la maturité que les sociétés se IODt comportées de la façon la plus marxiste. Mais même alora, le moteur du profit n'était pas nécessairement dominant. Am !tata-Unis, après la guerre de Sécession (... ), les Biblio eca Gino Bianco 127 hommes s'employaient à industrialiser un continent non pas simplement pour gagner de l'argent, mais aussi pour la puissance, par goût de l'aventure et pour des raisons de prestige. Comment expliquer autrement l'effort acharné de ces hommes, poursuivi longtemps après qu'ils eurent gagné plus d'argent qu'eux-mêmes ou leurs enfants pouvaient raisonnablement en dépenser ?... Ce n'est pas pour le gain, paraît-il, que Grand-Père Rockefeller et ses pareils ont fondé les monopoles qui enserrent l'Amérique comme les tentacules d'une pieuvre. Non, du moins notre M. Rostow nous l'assure, ils n'ont agi que par amour de l'aventure, le gain ne les intéressait pas... Il en appelle à ses lecteurs pour qu'ils veillent autour des fondements du système capitaliste et se dit qu'il serait merveilleux que le capitalisme s'étendît de nouveau au monde entier. La bécassine dans son marécage pousse des cris perçants et siffle : venez à nous. Ici, il fait bon et humide. Renoncez à prendre la route d'une vie meilleure, ne vous envolez pas vers le soleil. Vivez donc parmi les grenouilles ... Depuis un siècle on essaye de réfuter ou de réformer le marxisme. Tous ces auteurs( ...) fouillent dans le vieux tas de fumier des défenseurs bourgeois de l'exploitation de l'homme par l'homme et mènent une lutte sans espoir contre le marxisme ... Aucune force au monde ne peut empêcher le développement victorieux des idées de Marx et de Lénine. La bécassine du marécage capitaliste a beau s'égosiller et clamer sa supériorité, la vie se chargera de lui répondre. G. Joul,ov. RÉPONSE DE W. W. ROSTOW 17 novembre 1959 Au rédacteur en chef de la Pravda Cher Monsieur, Mon attention a été attirée sur la critique de mes théories faite par M. G. Joukov dans la Pravda du 19 octobre. Je vous demande de bien vouloir accueillir ma réponse dans vos colonnes. M. Joukov dit bon nombre de choses qu'il n'espérait tout de même pas faire prendre au sérieux à ses lecteurs ou à moi-même. Un point mérite cependant d'être discuté : Le professeur Rostow propose une théorie des phases de développement de la société moderne qui fait totalement abstraction du concept de la lutte de classes et des formations sociales. Cela n'est pas vrai. Ma théorie fait leur place aux conflits de classes et aux formations sociales. Je ne fais que leur assigner une place différente de celle que Karl Marx leur attribuait. En. quoi ma façon de voir les classes et leurs conflits diffère-t-elle de celle de Marx ? Sur deux aspects essentiels. Tout d'abord Marx groupait les classes en quelques grandes catégories : paysans, pr~priétaires fonciers féodaux, bourgeoisie, etc. Ce qui était bien pratique pour la théorie qu'il s'efforçait de mettre sur pied, mais qui ne correspondait pas à la réalité : bien souvent il existe d'importantes différences d'intérêts à l'intérieur même de ces larges classes, qui ne pensent et n'agissent pas comme un seul homme. Ainsi la classe féodale au Japon comprenait les Samouraf. C'est cc groupe à l'intérieur de la classe féodale qui fut le principal agent de la modernisation du pays, et non pas les chonin qui, en tant que « bourgeoisie commerçante", auraient dli jouer ce rôle selon la théorie de Marx.

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