Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

QUELQUES LIVRES exigent qu'on en tienne compte, ce dont se gardent à Moscou les scribes téléguidés par les puissants du jour. La même observation s'applique aux écrits et aux archives de Trotski, le seul dirigeant du Parti et de la Révolution qui ait pu s'exprimer à la faveur de l'exil; encore fautil savoir les scruter avec discernement. M. Schapiro était pleinement qualifié pour puiser aux sources les plus diverses. Il a eu aussi l'avantage d'obtenir les moyens et les concours nécessaires à ses recherches, l'aide de ses collègues universitaires les plus érudits en la matière et qu'il nomme dans sa préface, entre autres : Ph. Moseley et M. Fainsod., respectivement aux universités Columbia et Harvard ; B. Nicolaïevski, cc encyclopédie vivante du mouvement social-démocrate russe » ; Bertram Wolfe et vingt autres spécialistes dont les ouvrages ~e sont pas connus en France mais qui font honneur à leurs disciplines. Soit dit en passant, il est humiliant ici de comparer ce qui se fait en Angleterre et en Amérique à ce qui ne se fait pas en France où les pouvoirs publics, les institutions officielles, les universités se désintéressent du communisme., voire le favorisent par leur ignorance ou leur complaisance. L'ouvrage de M. Schapiro offre donc une somme considérable de connaissances, bien mise en ordre au cours de trente chapitres qui relatent et analysent l'histoire du Parti depuis ses origines jusqu'aux lendemains de la mort de Staline. C'est un guide sûr à travers les péripéties, les crises, les scissions, les épurations qui ont transformé ce parti ci-devant socialiste en une armée de guerre civile pour la conquête du pouvoir, puis en armature oligarchique d'un État despotico-totalitaire. L'auteur ne se prétend pas neutre, il avoue cc sa prédilection pour certains principes surannés : respect de la vie et de la dignité humaines, liberté de la pensée et de la parole, justice, vérité, paix entre l'homme et l'homme». On ne peut que l'en louer, car ces principes découlent de millénaires d'expérience sociale et parce que, d'autre part, il faut nécessairement se placer à un certain point de vue pour embrasser du regard un phénomène historique de grande ampleur. Si recommandable à tous égards que soit ce livre, il prête inévitablement à controverse entre les rares initiés qui ont vraiment suivi de près ou étudié à fond l'évolution de ce parti de la révolution et de la contre-révolution. Cela n'en diminue pas l'intérêt ni la valeur. Le difficile est d'en discuter sans ennui pour les profanes, devant un public privé de l'information préalable que lui refusent ceux qui ont charge de l'instruire, la France étant particulièrement défavorisée sous ce rapport. On doit se borner à regretter que l'ouvrage ne prenne pas fin sur la mort de Staline, tout en mettant à profit l'extraordinaire discours secret de Khrouchtchev au XXe Congrès, contribution indispensable à l'histoire du personnage Biblioteca Gino Bianco 119 qui a su capter l'héritage de Lénine pour s'associer avec Hitler, au plus grand malheur de l'Europe et du monde civilisé. L'épilogue se ressent trop de l'influence qu'exerce la presse quotidienne ou hebdomadaire, même sur des esprits assez avertis. Un livre de cette importance n'a pas besoin d'être up to date ni de sacrifier au journalisme, alors qu'au contraire un recul relatif lui assure une solidité plus durable. Il est surprenant aussi d'avoir à remarquer, dans la bibliographie, deux ou trois références qui font tache. Mais les points contestables seraient à débattre ailleurs que dans les étroites limites d'un compte rendu. Sous ces quelques réserves, on peut prédire avec certitude que The Communist Party of the Soviet Union restera et servira longtemps comme un classique pour étudier l'histoire authentique du parti qui s'approprie indûment le sens de l'histoire et qui se ment constamment à luimême quand il rédige sa propre histoire. B. SOUVARINE. Perspectives indiennes SARDAR PANIKKAR : L'Inde et l'Occident. ParisLa Haye, Mouton & Co. A Bunch of Letters. Written mostly to Jawaharlal Nehru and somewritten by him. Bombay-London, Asia Publishing House. }AYAPRAKASH NARAYAN : On some Impressions of my European Tour. New Delhi, Office for Asian Affairs, Congress for Cultural Freedom. EN INDE, nous avons la petite et la grande mousson. La première commence parfois en novembre et répand quelques larmes qui humectent le monde en passant sur nos champs de manière artiste, superficielle; c'est alors que nous plantons les céréales sèches. Environ mars, cette pluie folâtre a fini son ouvrage et pour trois mois la terre est sèche et froide, le soleil devient insupportable. « Les chiens tirent la langue - et jusqu'aux serpents dans leur trou.» Soudain, comme l'éclair, comme une trombe qui s'abat en sifflant, arrive la grande mousson, celle du sud-ouest, qui s'est concentrée sur l'équateur ; quand elle a abattu nos arbres et inondé nos champs, nous nous réveillons le cœur en fête, le monde devient clair et magnifique. Les deux moussons se rencontrent sur !'Himalaya, en Assam, où l'on assure que la pluie est la plus haute du monde. On a dit qu'entre un menchévik et un bolchévik la différence n'était pas de doctrine, mais de tempérament. Albert Thibaudet allait dans le même sens quand il déclara qu'un journaliste pouvait se répéter indéfiniment alors que !'écrivain, ayant dit une chose, ne pouvait jamais plus la redire.

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