Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

64 En 1945, les choses changèrent. Cette année-là et l'année suivante, il se trouva des professeurs de droit constitutionnel pour recommander le régime présidentiel. Hommes jeunes, ils n'avaient de la IIIe République connu que les troubles années qui précédèrent sa fin (l'un d'eux même avait alors milité dans les rangs des ennemis du régime), ils n'avaient connu que le temps où le besoin d'un gouvernement stable et fort commençait à primer, dans les esprits, le problème d'une exacte représentation du pays. La défaite militaire, la chute du régime étaient venues confirmer à leurs yeux les faiblesses de nos institutions. Dans la confusion politique de la libération, sans doute souhaitèrent-ils un système qui portât au pouvoir l'homme qui incarnait la restauration de l'indépendance nationale. La présence américaine les inspirant, ils songèrent aussitôt au modèle américain, qu'ils proposèrent sans beaucoup approfondir ni ses traits particuliers, ni les caractères qu'il prendrait si on le transportait en France. Ils ne furent d'ailleurs pas entendus et nos Constituants d'alors se montrèrent fort attachés aux traditions nationales. · Dix ans plus tard, le thème présidentiel connut un regain de faveur. Les circonstances politiques y furent pour quelque chose. Peu ·auparavant avaient eu lieu des élections législatives qui devaient être les dernières de la IVe République. La coalition arrivée en tête ne jouissait que d'une maigre majorité relative. Elle s'était battue en prenant pour drapeau le nom et le programme d'un homme à qui la médiocrité de ses forces propres ne permit pas de présider le gouvernement. Et le chef du gouvernement ne put mettre en œuvre le programme sur lequel il avait été élu parce que, les circonstances internationales interdisant toute entente avec le parti communiste, il lui fallut chercher un appui chez les adversaires de sa propre politique. Ces diverses données devaient susciter l'idée que seul le régime présidentiel apporterait une solution à une situation aussi confuse : il aurait en effet porté au pouvoir celuilà même qui, auteur du programme, semblait le mieux qualifié pour l'appliquer. Cependant, rien n'était dit sur les moyens qui auraient permis au Président de dominer la confusion parlementaire : ce point essentiel était curieusement laissé dans l'ombre. * )1- )1DEPUISun an environ, on reparle du régime présidentiel. Et il ne s'agit plus d'une idée proI?o,séep~r que!que t~éoricien. Une campagne a ete lancee, qui a pris de l'ampleur. De proche en proche le thème se répand. Mais si l'on examine les centres de cette agitation, c'est-à-dire les deux groupes qu'on a dit plus haut, nous verrons de nouveau que leur préoccupation presque exclusive n'est pas institutionnelle, mais personnelle. Te_l_partisan ne ~anque pas de rappeler que le_ pres1dent Mendes France a, longtemps après iblioteca Gino Biancot----- LE CONTRAT SOCIAL sa chute, tenu la première place dan~ l'opinion publique (ceux-là sont victimes de ce 9ue, se référant à 1848, on pourrait appeler l'illusion lamartinienne ). Et à l'autre bord on n'hésite pas à écrire qu'avec le régime présidentiel sonnera cc l'heure des disciples authentiques» du général de Gaulle. Les chantres du régime présidentiel ont presque tous un homme providentiel ou un · bataillon d'apôtres à proposer. Mais qui s'occupe . de dire ce que sera réellement le régime présidentiel ? Personne. On pourrait croire qu'une novation constitutionnelle de cette importance a été méditée dans la retraite, s'est inspirée des leçons de !'Histoire. Il n'en est rien. On nous offre un travail d'imagination. Chacun se forge des objections et invente des mécanismes pour y répondre. Mais on ne trouve nulle part ni réflexion ni observation historique. Depuis que les spécialistes du droit constitutionnel se penchent sur cette question, aucun d'eux n'a eu l'idée de brosser un tableau historique des régimes présidentiels pour en tirer les conclusions, aucun d'eux n'a songé à examiner ce qu'a donné et donne effectivement la séparation des pouvoirs là où elle a été appliquée. Aucun d'eux non plus n'a été tenté de s'inspirer de ce que d'autres théoriciens et observateurs ont écrit sur le régime présidentiel et la séparation des pouvoirs. Il semble qu'un engouement va décider de notre . sort. Tout l'effort historique des novateurs semble se limiter à cette observation du plus versatile de nos constitutionnalistes (n'a-t-il pas, naguère, prôné la souveraineté du Parlement après s'être fait l'avocat ·du régime présidentiel, auquel il revient aujourd'hui ?) : que la France d'aujourd'hui, politiquement mûre, n'est plus celle de 1851. Proposition curieuse, puisque cet auteur, peu soucieux de cohérence, reproche précisément au régime que ces Français si mûrs favorisent de leurs suffrages de n'être pas démocratique. IL N'ESTPASfort aisé de définir les .maux auxquels on prétend remédier. Sans doute peut-on supposer que le gouvernement cherche à accroître sa puissance et que les opposants voudraient un régime plus démocratique. Ce serait voir les choses de façon bien sommaire.· Mais comme personne ne se soucie d'analyser avec précision le fonctionnement de nos institutions, les griefs qu'on a contre elles demeurent quelque peu confus. Ce qu'on dit de plus clair, c'est que la Constitution n'est pas démocratique, qu'elle a été faite sur mesures pour un homme à qui elle ne peut survivre. Mais tel qui s'exprime ainsi ajoute que son plus grand mérite est d'être inapplicable, et de · n'être pas appliquée. Faut-il donc croire que les mesures n'auraient pas été bien prises ? Un point, du moins, est hors de doute : personne ne songe à revenir au système constitutionnel de la IIIe ou de la IVe République. Ce système,

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