Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

102 privilégiées est une force. En Russie, la fortune nationale est tout entière absorbée par l'État qui, à son tour, se transforme en père nourricier d'une immense classe étatique composée de militaires, de civils et d'ecclésiastiques. Le vol généralisé et officiellement organisé, la dilapidation des deniers publics et la spoliation du peuple, telle est l'expression la plus véridique de la civilisation nationale russe. Dès lors, il n'est pas surprenant qu'entre autres raisons, parfois plus importantes, qui ont poussé le gouvernement russe à organiser une expédition contre Khiva, il y ait également des raisons dites commerciales; il fallait ouvrir aux gens qui, de plus en plus nombreux, gravitent autour du pouvoir, et parmi lesquels nous rangerons également le corps des marchands, un nouveau champ d'action et lui donner de nouvelles régions à mettre au pillage. Mais on ne saurait attendre de ce côté-là un sensible accroissement de la fortune et des forces de l'État. Bien au contraire, on peut être certain que sous le rapport financier l'opération se soldera par plus de pertes que de gains. Pourquoi donc est-on allé à Khiva ? Est-ce pour occuper l'armée ? Pendant des dizaines d'années, le Caucase a servi d'école militaire, mais aujourd'hui le Caucase est pacifié, aussi bien fallait-il ouvrir une autre école ; et l'on a pensé à une expédition contre Khiva. Mais cette explication ne résiste pas non plus à l'examen, même si nous tenons le gouvernement russe p_ourle pir~ des incapables et des idiots. L'expérience acqwse par nos troupes dans le désert de Khiva ne serait d'aucune utilité dans .une guerre à_ l'(?uest et, d'autre part, elle coûte trop cher, si bien que les avantages obtenus sont loin de pouvoir être comparés à l'importance des dépenses et des pertes. Mais peut-être le gouvernement russe s'est-il mis en tête sérieusement de conquérir les Indes ? Nous ne péchons point par excès de confiance dans la sagesse de nos gouvernants de Pétersbo~rg, ~~is tout. de même nous ne pouvons croire qu ils se soient fixé ce but absurde. Conquérir les Indes ... Pour qui, pourquoi et par quels moyens ? Il faudrait pour cela déplacer au moins le quart sinon la moitié de la population russe vers l'Est et quelles raisons aurait-on de conquérir les _Indes, qu'on ne pourrait atteindre qu'après avoir préalablement pacifié les nombreuses peuplades guerrières de l'Afghanistan ? La conquête de l'Afghanis~, ~é et e~ partie discipliné P~ les An~ai~, serait au moms trois ou quatre f01s plus diffiCileque la prise de Khiva. Si l'on tenait vraiment à se lancer dans les conq~êtes, P?urquoi n'avoir pas commencé par la Chine ? C est un pays très riche et, sous tous le_srapports, il nous est plus facile d'y prendre pied qu'aux Indes, attendu que rien ni personne ne sépare la Chine de la Russie. Comme on dit chez nous : entre et sers-toi, si tu le peux. Biblioteca Gino Bianco'--- PAGES RBTROUVSBS En effet, en profitant du désordre et des guerres intestines qui sont le mal chronique de la Chine, on pourrait étendre très loin les conquêtes dans ce pays, et il semble que le gouvernement russe soit en train de tramer quelque chose de ce genre ; il cherche manifestement à détacher d'elle la Mongolie et la Mandchourie ; peut-être apprendrons-nous un beau jour que les troupes russes ont franchi la frontière occidentale de la Chine. Entreprise excessivement dangereuse, qui rappelle étrangement les fameuses victoires des Romains sur les peuplades germaniques, victoires qui ont abouti, comme on sait, à la mise à sac et à l'assujettissement de l'Empire romain par les hordes teutoniques. La Chine à elle seule compte, selon certains, 400 millions et, selon d'autres, 600 millions ~ d'habitants qui vivent manifestement à l'étroit dans les frontières du Céleste-Empire et, en masse de plus en plus nombreuses, se transplantent aujourd'hui en un courant irrésistible, les uns en Australie, certains autres, à travers l'océan Pacifique, en Californie; d'autres masses peuvent enfin se déplacer vers le Nord et le Nord-Est. Et alors ? Alors, en un clin d'œil, la Sibérie, tout le territoire qui s'étend du détroit d~ Tartarie aux ~onts Oural et jusqu'à la Caspienne cessera d' etre ·russe. Songez donc que cet immense territoire qui, par son étendue (12.200.000 km2 ), soit plus de vingt fois la superficie de la France (528.000.000 km2 ), ne compte, à l'heure actuelle, pas plus de 6 millions d'habitants, dont environ 2.600.000 Russes seulement, tous les autres étant des aborigènes d'origine tatare ou finnoise ; et les effectifs militaires sont infimes. Comment arrêter l'irruption des masses chinoises qui non seulement envahiront toute la Sibérie, y compris nos nouvelles possessions d'Asie centrale, mais encore se répandront à travers l'Oural jusqu'à la Volga... Tel est le danger qui nous menace presque fatalement du côté de l'Est. On a tort de mépriser les masses chinoises. Elles sont dangereuses par le seul fait de leur nombre considérable, dangereuses parce que leur prolifération excessive rend quasiment impossible leur existence ultérieure dans. les fron!~ères de la Chine ; dangereuses aussi parce qu t1 ne faut pas les juger d'après les marchands chinois avec lesquels les négociants européens traitent des affaires à Changhai, Canton ou Maïmatchine. A l'intérieur de la Chine vivent des masses moins déformées par la civili~ation chinoise, inc?mparablement plus énergiques, au surplus forcement belliqueuses, rompues au combat par des guerres intestines continuelles où périssent des diuines et des centaines de milli~rs d'individus. Signalons encore que, ces dermers temps, elles ont commencé à se familiariser avec le maniement des armes modernes ainsi qu'avec la discipline à l'européenne - fruit et de~er cri officiel de no~': ~vilisation étatique. Alliez seulement cette discipline, l'apprentissage

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