Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

Anniversaire « LA-GUERRE ET LA PAIX» par Théodore Ruyssen LE 21 MAI 1861 paraissait à Paris, chez le libraire-éditeur Dentu, le dernier grand ouvrage de J .-P. Proudhon, La Guerre et la Paix 1 • Pour bien comprendre la signification de . ce livre à l'égard de l'ensemble des œuvres du philosophe, il importe d'indiquer dès à présent les titres des écrits de même orientation qui vont suivre en moins de trois ans : 1862. · La Fédération et l'unité en Italie ; 1863. Du Principe fédératif et de la nécessité de reconstituer le parti de la Révolution ; 1863. Si les traités de 1815 ont cessé d'exister; 1864. Nouvelles observations sur l'unité italienne. Le seul groupement de ces titres parle de luimême; durant vingt ans, de !'Essai de grammaire générale, (1837) à La Justice dans la Révolution et dans l'Eglise (1858), Proudhon, nourri d'une riche culture et animé d'une curiosité ouverte aux problèmes les plus divers, ·a abordé tour à tour la philosophie, l'économie, la sociologie, la philosophie de l'histoire, la politique, l'exégèse, l'esthétique ; cependant, s'il n'a pas, comme nous le verrons, totalement ignoré les questions internationales, ce n'est jamais sur elles qu'il concentre son attention. D'où vient qu'à l'âge de cinquante ans, il en fait l'objet majeur de son enquête et, bien entendu, de sa passion combative ? Que se passe-t-il donc alors dans le monde ? Que se passe-t-il aussi dans la vie de Proudhon luimême? * )f )f CETTE VIE vient d'être bouleversée. Proudhon est en exil : -en juillet 1858, redoutant les conséquences du procès qui lui a été intenté pour la publication de La Justice, il se réfugie à Bruxelles. Il y apprend bientôt qu'il est condamné à trois ans de prison et à 4 ooo francs d'amende; il I. Titre complet : La Guerre et la Paix. Recherches sur le principe et la constitution du droit des gens, 2 vol. in-16 de 404 et 423 pp. respectivement Une seconde édition parut après la mort de l'auteur, en 1869, 2 vol. in-16 de 322 et 333 pp. Il n'y eut plus d'édition avant celle qui figure dans le~ O!~wes complèt~s. de P.-J. Proudhon, publiées par la Librairie Marcel Rivière et Cie, Paris 1927, avec introd':ction et not~~ d'Henri Moys~et, 1 vol. in-8°, XCIV-514 pp. C est cette édition que nous citerons. décide de rester en Belgique, s'installe à Ixelles et y fait venir sa femme et ses trois filles. Amnistié ,. dès 1859, il aurait pu revenir à Paris; mais il se plaisait en Belgique et une des raisons de son attachement à ce pays est précisément que celui-ci lui offre, pour étudier les problèmes de la vie internationale, un meilleur observatoire que la France. Le 28 octobre 1858, il écrit à Boutteville : « J'ai trouvé ici, chose précieuse, une élite d'hommes indépendants, fort instruits et tout à fait dans nos principes... Sans faire de bruit, nous formons (...) l'alliance philosophique des nations2 • » Cette élite comprenait surtout des étrangers, Polonais, Hongrois, Autrichiens, venus comme Proudhon lui-même de pays où il était dangereux de parler et d'écrire librement ; à travers ces réfugiés, il aperçoit plus qu'il ne l'avait fait jusque-là la complexité de problèmes qui passionnaient alors l'opinion publique, droit des « nationalités » à l'indépendance, rôle historique des « frontières naturelles », enchevêtrement des ambitions politiques et des intérêts économiques. Ces thèmes irritants avivent sa curiosité; il observe, écoute, lit force livres, journaux et revues; un immense programme de travaux nouveaux se dessine devant lui. <, Depuis que je suis en Belgique, j'ai préparé la suite de mes études et publications pour le reste de ma carrière»; et il annonce n'avoir pas moins de cc &oixante sujets » en vue pour occuper ses dernières années 3 • Or le déroulement de la vie internationale de son temps l'amène bientôt à fixer son choix. A la suite de l'échec de la révolution de 1848 en Italie, le royaume lombard-vénitien était retombé sous la domination de. l'Autriche ; le gouvernement absolu avait été rétabli dans les Deux-Siciles, en Toscane, à Parme, à Modène, à Rome. Seul, le Piémont, sous le gouvernement de VictorEmmanuel qu'assistait un ministre libéral,·Cavour, avait ·conservé des institutions constitutionnelles. De tous les points de la péninsule les regards et les espoirs se tournaient vers le Piémont. Guidé par Cavour, Victor-Emmanuel se rapprocha étroitement de Napoléon III. Le 31 janvier 1859, un prince Napoléon épouse une fille de Victor2. Correspondance, 14 vol., Paris 1874-75, t. VIII, pp. 252-53. 3. Lettre à Chaudey, ibid., p. 349. •

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