Le Contrat Social - anno V - n. 2 - marzo-aprile 1961

70 dent, et qu'il arrive a~s~i que le Congrès ~oit_le vrai moteur de la politique, car la Const1tut1on lui donne les moyens de le devenir. C'est ce qu'il appelait le « Gouvernement congressionnel ». Mais il n'est pas rare - on ne tarda pas à le remarquer - que le Président et le Congrès, opposés l'un ~ ,l'autre et se neutr~l~sant, soient dans l'incapac1te de mener une politique efficace et suivie. En outre, rien ne prouve, dans ce cas, que les électeurs, au scrutin suivant, ne continueront pas à élire un Président et un Congrès de partis opposés : cela s'est vu encore naguère. Nous le savons bien, nous autres Français, de qui les dirigeants ont, il y a quelque quarantedeux ans, fait confiance à Wilson, précisément, devenu Président, à Wilson que son Congrès allait désavouer, refusant de ratifier les engagements qu'il avait pris. Ce bicéphalisme, qui est contraire à toute saine conception du gouvernement, est inhérent au régime présidentiel. On dira peut-être que notre régime à nous est lui aussi bicéphale. C'est en effet un reproche qu'on a beaucoup entendu. Mais ce n'est là qu'une apparence, et nous avons montré (dans l'article cité de sept. 1959) que notre Constitution ne donne de pouvoirs étendus au chef de l'État que dans les périodes de trouble. Et il est évident que dans une période calme il serait à peu près impossible au Président de s'opposer à un chef de gouvernement issu d'une majorité parlementaire cohérente, c'est-à-dire désigné par le suffrage universel. Or que seront, dans la pratique, les périodes calmes et les périodes troubles ? Il est clair que les premières seront celles où le suffrage universel aura défini une majorité cohérente, et les autres celles où l' expression de la volonté nationale sera confuse. C'està-dire que le bicéphalisme qu'implique notre Constitution est apparent, et que le Président n'aura de pouvoir que dans la mesure où la nation n'aura pu se choisir un chef de gouvernement. Le bicéphalisme du régime présidentiel, au contraire, c'est celui qui paralyse trop souvent le Président américain, c'est celui qui nous a valu le Dix-Août, le Dix-huit-Brumaire, les journées de Juillet, la révolution de Février, le DeuxDécembre. Il faut cependant reconnaître que si le régime américain ne favorise pas l'action du gouvernement, il jouit du moins d'une exceptionnelle stabilité. Mais précisément, cette stabilité est si exceptionnelle parmi les régimes de séparation des pouvoirs, qu'on ne peut se dispenser d'en chercher les raisons. · Les régimes de séparation des pouvoirs meurent de deux façons. Ou bien l'Assemblée détruit le pouvoir exécutif : on guillotine Louis XVI, on détrône Charles X. Qu bien un exécutif en place ou improvisé détruit l'Assemblée : c'est ,le Dixhuit-Brumaire ou le Deux-Décembre. Si le régime américain n'a pas connu une semblable destinée, c'est que le Président et le. Congrès ou bien ne peuvent se détruire, ou bien n'ont aucune raison LE CONTRAT SOCJ.AL de le vouloir. En fait les deux explications sont vérifiées, l'une pour le Président, l'autre pour le Congrès : car le Président est impuissant contre le Congrès, tandis que celui-ci est toujours en mesure de paralyser le Président. Sans entrer dans le détail des institutions américaines, on· peut rappeler ici les raisons essentielles d'une telle situation, qui n'ont d'ailleurs rien de mystérieux. On notera d'abord que le Président des États-Unis ne règle que les questions fédérales, ne dispose que des ressources fédérales. A l'échelon inférieur, cinquante États poursuivent leur vie propre, et nous ne cessons de voir comme il est malaisé à la Fédération d'imposer à ces États la législation fédérale elle-même, lorsqu'ils sont résolus à ne pas l'appliquer. A l'échelon supérieur, la Cour Suprême de la Fédération est un organisme unanimement respecté. Tout cela limite considérablement la liberté d'action du Président, car la Cour Suprême fédérale a un prestige constitutionnel de beaucoup supérieur au sien, et l'existence de cinquante États ayant chacun sa Constitution, sa législation, son Congrès, sa Cour Suprême et son Administration lui interdit de songer à un coup d'État. Le second point important à noter, c'est la compétence légale des commissions sénatoriales, qui est d'une grande étendue. Il suffit d'ailleurs de suivre la politique des États-Unis pour voir la minutie avec laquelle ces commissions contrôlent l'action de l'Administration, leur droit de regard étant infiniment plus étendu que celui de nos parlementaires. Une des prérogatives les plus remarquables du Sénat américain est d'exercer son ·contrôle sur les nominations de dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux : ce qui signifie que, pour devenir fonctionnaire fédéral, il peut être plus intéressant d'être protégé par un sénateur que par un membre du gouvernement. Il y a un troisième élément de stabilité, last but not least, qu'il convient de noter ici : c'est le bipartisme américain. Depuis qu'un de nos constitutionnalistes a soutenu que ce bipartisme est superficiel, l'argument a embelli et un autre spécialiste soutient maintenant qu'il y a deux partis par État, c'est-à-dire cent. C'est plaisanter un peu lourdement. Que les partis américains ·aient beaucoup moins de cohésion que les partis anglais, cela n'est pas douteux. Ce n'est pas ici le lieu d'en chercher les raisons, dont l'une est, indubitablement, le régime présidentiel luimême : le député anglais n'est pas libre de trahir la majorité'sous l'influence d'un groupe de pression local, car de son vote dépend l'existence du gouvernement. Le Représentant américain, · au contraire, peut avec d'autant moins de scrupules · gêner l'action de son gouvernement qu'il se sait .sans pouvoir sur son existence. Quoi qu'il en soit, le bipartisme américain existe. On dit qu'il ne joue au Congrès qu'un rôle médiocre : c'est pourtant lui, et lui seul, qui permet au Président d'agir, lorsque son parti est majoritaire, même

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