Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

E. GOLDHAGEN Et au XXIe Congrès Khrouchtchev flétrissait avec l'autorité d'un oracle la conception « vulgaire » du communisme en tant que ... ... masse informe, inorganique et anarchique. Non, ce sera une coopération hautement organisée de travailleurs. Pour diriger les machines, chacun aura à remplir ses fonctions de travailleur et ses « devoirs sociaux » à un moment déterminé et dans un ordre établi (Pravda, 28 janvier 1959). A la faveur de cette purge de l'eschatologie marxiste de ses éléments hérétiques, le Parti acquit · une conception plus claire de ses buts ultimes. Ce qui auparavant avait été tacite et à demi conscient se précisa 8 • A l'étude, on y décou:- vre la marque des rêves propres aux bureaucrates du Parti. Si l'utopie reflète la satisfaction illusoire de désirs frustrés, l'utopie des apparatchiki reflète, elle, la convoitise d'un pouvoir illimité, d'un totalitarisme absolu. C'est ainsi qu'elle présente plus d'affinités avec les idéaux de Sparte ou de la République de Platon, avec l'État idéal de Rousseau ou avec L'Utopie de Thomas Morus qu'avec la vision brumeuse de Marx, bien que cette dernière n'y soit pas entièrement étrangère. Certains traits de l'avenir idéal selon Marx sont tirés de leur contexte original, coupés des éléments libertaires auxquels ils étaient organiquement reliés et incorporés à un nouvel ensemble que Marx A • ' • reconnaitrait a peine. La quête de l'harmonie LA RÉPUBLIQUE de Platon est l'archétype de l'idéal politique qui a tr?uvé ses interp~è~e~d~s presque toutes les périodes , d~ la ~ivilisation occidentale. Ses adeptes, en depit de divergences de détail, ont été unis par leur intoléranc~ à l'égard de la diversité des communautés humaines - intolérance née de ce qu'à chaque moment de l'histoire, le type de la communauté est déterminé, non par une planification consciente rép_ondant à un système logique, mais par les capr~c~s~e forces sociales spontanées. Ils ont tendu a instituer la concorde et l'harmonie dans les affaires humaines en réduisant la complexité de ~as?cié~é à une formule relativement simple. On inciterait les hommes à communier harmonieusement en leur inculquant l'idée d'entreprises co?pér~tives et d'une acceptation de leur statut social, _sib~s soit-il, comme une condition naturelle et inalterable. Processus qui étoufferait d~s 1~germ~ les semences de l'envie et de la revendication sociale. Ainsi les problèmes éternels de. la liberté e~ .~e l'autorité de la volonté individuelle conciliee ' , avec les exigences de la communaute se trouve8. Dans Tito parle... (Paris r953, p. 308) Y· Dedijer rappelle qu'à la conférence inaugurale. d~ Co~orm en I9,47 Malenkov déclara que l'Union soviétique ~tait sur le point d' « adopter un plan de quinze ans définissant 1~ passage du socialisme au communisme» et qu'elle « marchait scrupuleusement sur la trace du socialisme utopique •· Biblioteca Gino Bianco . , 41 raient-ils résolus une fois pour toutes. Le calme et la solidarité sociale remplaceraient l'agitation et les conflits qui furent la condition de l'homme vivant en société. Platon propose qu'une élite éclairée de roi~- philosophes dressent leurs sujets dans cette solidarité obéissante à l'aide de « nobles mensonges ». Rousseau préconise qu'on investi~se un « souv~- rain » du pouvoir de « fixer les articl~s de la r~ligion civile » qui engendrerait une attitude propice à l' cc unité sociale » et abolirait les circonstances qui mettent l'homme cc en contradiction avec lui-même ». Saint-Simon désirait l'avènement d'un cc nouveau christianisme » qui unirait les individus dans une communion sociale. En France, la cc réaction conservatrice» et ceux que le Manifeste communiste dénonçait comme des cc socialistes féodaux» réprouvaient ensemble l' cc anarchie » de la société bourgeoise pour préconiser un système social à l'image de l'ordre hiérarchique d'un Moyen Age supposé béni ~ar l'harmonie universelle. Au x1xe siècle, la droite et la gauche s~ ~ourrissaien~ ~ ~e~,so'!r~es app~- rentées, en depit de leur inumtle reciproque . Marx et Engels furent les héritiers de la même tradition. Ils étaient eux aussi à la recherche de l'harmonie sociale. Mais à l'encontre de beaucoup d'autres, ils ne voulaient pas la réaliser par la transformation de la société en une nouvelle hiérarchie qu'une élite éclairée imposerait par la force et la persuasion. Ils croyaient qu'une fois abolie la propriété privée des moyens de production, la majorité révolutionnaire se ,fondr~t t<:>ut naturellement en une communaute cooperative d'égaux, suppriman~ toute distinction .~e class~. L'Etat en tant qu'instrument de coercition serait remplacé par ~< l'ad~nistr~tion des ~h?ses » ou, selon Lénine, il deviendrait cc non politique ». Le degré le plus élevé de ~ibe~é e;11gen~erait ain~i l'harmonie la plus parfaite Jamais ~tteinte ~er~is les jours mythiques du communisme primitif. La vision de Marx s'est révélée moins réaliste que celle du «socialiste utopiste» Saint-Simon ou que celle de la droite ~ve~ sa. concept~on de l' «élite ». Ce fut une coincidentta opposttorum. La solidarité devait être réalisée non par une élite stimulant consci.emment ·la Bindung et la Ganzheit idéaux jumeaux de la droite conservatrice, mais' par l'union volontaire d'i"ndividusgouvernés par la raison : l'harmonie naîtrait de l'anarchie. Il appartint aux bolchéviks de «corriger» l'enseignement de leurs maîtres, révélant ainsi la parenté de la droite réactionnaire avec la gauche extrémiste. Ainsi, tandis que le bolchévisme conserve les idéaux économiques de Marx, il estime que seuls les moyens préconisés par la droite permettront 9. Pour une analyse pénétrante des relations entre la droite et la gauche, cf. Raymond Aron : Espoir et peur du siicle, Paris 1957, pp. I 1-121.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==