Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

F. CARSTEN , Les élections et la plate-forme de ce parlement contre-révolutionnaire doivent devenir un moyen d'éduquer, rallier et mobiliser les masses révolutionnaires, une étape dans la lutte pour l'établissement de la dictature du prolétariat 17 • R. Luxembourg ne perdit jamais sa foi dans les masses, malgré leur répugnance à suivre les communistes. La veille du jour où elle fut assassinée par des hommes de main contre-révolutionnaires, le 15 janvier 1919, elle écrivait son dernier article, où elle jugeait la tentative de prise du pouvoir par l'extrême gauche à Berlin, ce qu'on a appelé le soulèvement spartakiste : Les masses sont l'élément décisif, elles sont le roc sur lequel sera bâti la victoire finale de la révolution. Les masses ont fait leurs preuves : elles ont fait de cette « défaite » un maillon de la chaîne des défaites historiques qui sont l'orgueil et la force du socialisme international. C'est pourquoi de cette « défaite » naîtra la victoire... Demain la révolution se dressera de nouveau dans son armure flamboyante et vous serez glacés d'effroi par l'appel de sa trompette : « }'étais, je suis, je serai 18 • » • Le cours ultérieur de la révolution allemande devait montrer combien étaient injustifiés sa foi dans les masses et son optimisme révolutionnaire. Quand les masses allemandes se mirent en mouvement, elles allèrent dans la direction opposée à celle qu'elle avait prédite avec tant de confiance. QUELQUES SEMAINES avant l'assassinat de Rosa Luxembourg, le parti communiste avait été fondé à Berlin. Dans le programme du Parti, publié en décembre 1918, R. Luxembourg exprimait une fois de plus les idées qui l'avaient poussée à critiquer la politique de Lénine après la révolution d'Octobre; elle réprouvait le règne d'une minorité sur la classe ouvrière et la tactique du putsch ( qui devait aboutir au tragique soulèvement spartakiste de janvier 1919) : La révolution prolétarienne n'implique dans ses buts aucune terreur, elle a le meurtre en horreur... Elle n'est pas la tentative désespérée d'une minorité cherchant à modeler le monde à son idéal ; elle résulte de l'action des grandes masses qui sont appelées par millions à remplir leur mission historique et à transformer la nécessité historique en réalité... La Ligue Sparta~s n'est pas un parti qui veut s'emparer du pouvoir pardessus la tête ou par l'intermédiaire de la classe ouvrière ...- La Ligue ne prendra jamais le pouvoir autrement que par la volonté clairement exprimée et sans équivoque de la grande majorité des travailleurs de toute l'Alle- ~gne ; elle ne le fera qu'avec l'adhésion consciente 17. Article in Die Rote Fahne du 23 décembre 1918 Ausgewahlte Reden und Schriften, II, pp. 652-53. 18. Article in Die Rote Fahne du 14 janvier 1919 ; ibid., p. 714. • Bibhoteca Gino Bianco 37 de cette masse aux vues, aux buts et aux méthodes politiques de la Ligue... Sa victoire ne doit pas marquer le début, mais la fin de la révolution : elle s'identifie avec la victoire des millions de travailleurs socialistes 19 • Le nouveau parti ne tint malheureusement pas compte de l'avis de sa fondatrice; tout au long de son histoire, il affectionna la tactique du putsch et il ne parvint au pouvoir qu'en tant que clique régnant sur les travailleurs par la vertu de forces étrangères. Dans le programme, R. Luxembourg mettait aussi l'accent sur ce qui devrait constituer les traits essentiels du socialisme : La nature de la société socialiste consiste en ce que la grande masse des travailleurs cesse d'être enrégimentée, qu'elle participe pleinement à la vie politique et économique et qu'elle gouverne en disposant d'ellemême librement et en pleine conscience... Les masses prolétariennes doivent apprendre à devenir, au lieu de machines sans vie que le capitaliste met au service de la production, les directeurs conscients, libres et actifs de cette production. Elles doivent acquérir le sentiment de responsabilité des membres actifs de la communauté, seule détentrice de toutes les richesses économiques. Elles doivent faire preuve de zèle sans le fouet patronal, atteindre de plus hauts rendements sans y être contraintes par le capitalisme, observer une discipline sans commandement ni oppression, sans maîtres. L'idéalisme le plus élevé dans l'intérêt de la communauté, la discipline la plus sévère envers soi-même, un véritable esprit de civisme dans les masses, constituent la base morale de la société socialiste 20 • C'est dans de telles idées, dans la critique pénétrante des conceptions de Lénine, dans l'accent mis sur la base morale et démocratique du socialisme que l'on peut trouver la valeur durable de la pensée de R. Luxembourg. Sa théorie de la chute inévitable du capitalisme, sa foi aveugle dans les masses et dans la révolution permanente, son immense optimisme quant à l'avenir du socialisme ont été démentis par des événements qu'il ne lui a pas été donné de vivre. Il en reste encore assez pour faire d'elle l'un des plus éminents interprètes de la pensée socialiste moderne. Il n'est pas fortuit qu'elle ait été classée comme hérétique en Europe orientale et qu'un recueil de ses écrits, ·publié seulement depuis peu, passe sous silence tout ce qui est vraiment important. Pour Rosa Luxembourg, socialisme et liberté· étaient inséparables : ceux qui ont supprimé la liberté n'ont que faire de .ses idées. FRANCIS CARSTEN. (Traduit de l'anglais) 19. Was will der Spartakusbund ?, éd. Kommunistische Partei Deutschlands (Spartakusbund), Berlin 1919, pp. 17, 22-23. 20. Ibid., pp. 16-17.

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