Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

F. CARSTEN vieux adversaires de R. Luxembourg, étaient très éloignés de l'idéalisme révolutionnaire de cette dernière. Même après la révolution de 1918, ce fut le parti social-démocrate indépendant qui devint le parti de masse de la fraction avancée de la classe ouvrière allemande, alors que le parti communiste allemand, nouvellement fondé et qui succédait à la Ligue Spartacus, restait une petite secte. C'est en prison que parvinrent à R. Luxembourg les nouvelles de la révolution de Février, puis de la révolution d'Octobre : ses idéaux révolutionnaires semblaient enfin s'être incarnés, sinon en Allemagne, du moins en Russie. Et c'est également en prison qu'elle écrivit ce qui doit demeurer comme le plus important témoignage de son indépendance d'esprit, une critique acerbe de la politique de Lénine après la révolution d'Octobre. Dès 1904, en même temps et pour les mêmes raisons que Georges Plékhanov, elle avait combattu Lénine qui préconisait ... ...un centralisme sans scrupules dont le principe essentiel est, d'une part, la distinction et la séparation strictes des troupes organisées de révolutionnaires déclarés et militants d'avec les milieux révolutionnaires actifs quoique inorganisés qui les entourent, d'autre part, la discipline stricte et l'intervention directe, décisive et déterminante de l'autorité centrale dans toutes les manifestations de la vie des organisations locales du Parti. Il suffit de remarquer par exemple que, suivant cette conception, le Comité central a le droit d'organiser tous les comités locaux du Parti, c'est-à-dire aussi de déterminer la composition individuelle de chacune des organisations locales russes de Genève à Liège et de Tomsk à Irkoutsk, de lui imposer un statut sur mesure, de dissoudre toutes ces .organisations par voie d'autorité et de les reconstituer, influençant par là même de manière indirecte jusqu'à la composition de la plus haute instance du Parti, le Congrès. Ainsi le Comité central apparaît comme le véritable noyau actif du Parti, et toutes les autres organisations comme de simples instruments d'exécution 8 • A l'encontre de Lénine, pour qui le socialdémocrate révolutionnaire est « un jacobin indissolublement lié à l'organisation du prolétariat », R. Luxembourg soulignait que dans une organisation conspirative du type créé par Blanqui, la tactique et l'activité sont élaborées d'avance, conformément à un plan, ses membres actifs n'étant que les exécutants .d'une volonté supérieure qui s'exprime hors de leur sphère d'action, les instruments aveugles d'une autorité centrale dotée de pouvoirs absolus. A son avis, les conditions de l'action social-démocrate doivent être tout autres... •.• non pas fondées sur une obéissance aveugle, sur une subordination mécanique des militants à l'autorité centrale ; et il ne peut être question de dresser une cloison étanche entre le noyau du prolétariat conscient, déjà solidement encadré dans le Parti, et les couches qui l'environnent, engagées dans la lutte de classes et en train de faire leur éducation de classe. 8. « Organisationsfragen der russischen Sozialdemokraie » in Die Neue Zeit, XXII, Stuttgart 1904, pp. 486-87. Biblioteca Gino Bianco 35 Selon elle, les idées de Lénine se ramenaient ' a... ...transférer mécaniquement au mouvement socialdémocrate des masses de travailleurs les principes d'organisation des conspirateurs blanquistes. La social-démocratie n'était pas «liée» à l'organisation des travailleurs conscients de leur classe, elle était « le mouvement propre de la classe ouvrière», si bien que le centralisme socialdémocrate devait être d'une qualité entièrement différente de celui de Blanqui. Les organisations locales devaient jouir d'une liberté de manœuvre suffisante pour pouvoir faire preuve d'initiative et profiter des occasions qui se présentaient pour améliorer leur position; tandis que l'ultra-centralisme préconisé par Lénine avait pour but de diriger, de canaliser et d'enrégimenter l'activité du Parti 9 • * 'Jf,. 'Jf,. AINSI RosA LUXEMBOURG discerna d'emblée les dangers du type d'organisation bolchévique ; ce qui ne l'empêcha pas de collaborer avec Lénine pendant des années et de saluer la révolution russe comme « le fait le plus considérable de la guerre mondiale». Ses critiques envers Lénine après la révolution d'Octobre étaient dirigées avant tout contre sa politique agraire et contre les tendances antidémocratiques et dictatoriales inhérentes au bolchévisme. Lors d'Octobre, Lénine avait repris le programme agraire d'un p~i non marxiste, celui des socialistes-révolutionnaires, qui sanctionnait le partage des biens fonciers expropriés et créait une classe forte de propriétaires paysans. R. Luxembourg pensait que çette politique ... . . ...a créé pour le socialisme dans .les campagnes une nouvelle et puissante catégorie d'ennemis dont la résistance sera de beaucoup plus dangereuse et plus obstinée que ne l'était celle des gram;is propriétaires fonciers aristocrates 10 ••• Aujourd'hui, après la « prise de possession», l'ennemi qui se dresse devant toute socialisation de l'agriculture, c'est la masse de paysans propriétaires énormément grossie et fortifiée, qui défendra bec et ongles sa propriété nouvellement acquise contre tous les attentats socialistes. Aujourd'hui, la question de la socialisation future de la terre,- et, ,par conséquent, en Russie, de la production en général, est devenue une question de lutte entre ·le prolétariat des villes et la masse paysanne 11 • . La collectivisation forcée accomplie par Staline devait montrer plus tard combien elle avait eu raison ; mais elle ne se demanda pas si Lénine, dans les conditions de 1917 et alors qu'il voulait prendre et conserver le pouvoir, pouvait faire autre chose qu'entériner la prise des terres par les paysans, phénomène ~pontané et indépendant 9. Ibid., pp. 488-89 et 491-92. 10. La Révolution russe, trad. Bracke, Paris 1946, p. 22. II. Ibid., p. 21.

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