Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

K. PAPAIOANNOU la discipline militaire. Pourquoi ratiociner sur le capital lorsq~'on ~ait ce _que « chaque soldat sait », à savoir «qu un bataillon est un bataillon et que ce n'est pas au bataillon de se mettre au pas. d~ soldat» ... Sous la Commune, Rimbaud mvitait ses contemporains à «se mettre à l'étude au bruit de l'œuvre dévorante qui se rassemble et ,remonte d_ans Ies , masses » : qui aurait cru qu on en arriverait a ne plus entendre qu'un bruit de bottes ? Afi?.si donc la réalité sociale à laquelle le marxtsme se~ d' «auréole » idéologique devient « supra-marxtste » dans la mesure où elle se vide de. t~ute subs!ance historique : les événements q~ ~ y prodwsent sont censés appartenir à une histoire autre que celle dans laquelle nous vivons et que nous pouvons encore penser. La nouvelle histoire CETTENOUVELLEHISTOIREse situe à la fois au-1elà et en deçà du concept traditionnel(« bourgeois » ou « marxiste », peu importe) de l'histoire. Elle est au-delà dans la mesure où elle relève d'une certaine méta-histoire dont la «marche des peuples vers un avenir de plus en plus radieux » (selon la formule préférée de Staline) forme la trame. Elle est en deçà dans la mesure où elle a~partient à une histoire apocryphe ou souterrame : celle dont les archives (inconnues et selon tou~~ probabi~té inconnaissables) de la police politique constituent les seules sources. Si bien que. l'homme y mène, comme dirait Marx, une « existence double» 15 , céleste et sub-terrestre : d'une part, l'existence dans le ciel de sa métahistoire, où des fleurs rilkéennes «infiniment ~'él?anouissent» et où il est question d'arriver in illo temfore à la «suppression de l'opposition ~ntre la ville et la campagne, entre le travail intellectuel et le travail manuel et à la liquidation 1es . différences entre eux » 16 ; d'autre part, 1 existence dans le monde nocturne de sa subhistoire,. où les complots les plus bizarres et les plus noirs forfaits sont continuellement en train d'être perpétrés par des «monstres à face humaine». No?~ avons déjà fait allusion à l'imagerie ~aradisiaque qui tient lieu de conscience historique dans l'univers totalitaire. Mais que dire de la profusion des phantasmes démonologiques que la propagande tire périodiquement des abîmes sub-historiques à la lumière des procès ? C'est le sombre arrière-fond du lumineux hortus deliciaru~ avec ses héros «positifs.», séraphiques et laborieux : la «faune monstrueuse » de la ~~éd.raie politique. Tout se passe comme si la divmisation de l'histoire n'était qu'un moyen de !~· Cf. la célèbre analyse du« dédoublement» de l'homme politique dans « La question juive », in Die Frühschriften, pp. 181 sqq. 16. Staline : Les Problèmes économiques du socialisme, 1952, p. 27. 1 Biblioteca Gino Bianco 29 choix pour trouver un dernier refuge au diable et à son cortège de monstres et de sorcières : l'édification du monde lumineux où il n'y aura plus «rien à démontrer et personne à frapper » s'accompagne de l'anathème contre ces «fasciste_s», ces «chiens enragés », ces « vipères lubriques», les anciens «chefs adorés». Des actes de sabotage grotesques, des plans de partage du pays, des m~urtres absurdes ont remplacé les cornes, les griffes, le souffle sulfureux du Malin Ainsi les «traîtrt:s » empoisonnent les puits, pro~ voguent des accidents de chemin de fer (selon un dt:s accusés des pro~ès de 1936-38, les seuls trotskistes en ont organisé 3.500 ... ) La dégoûtante puanteur d'une morgue s'est soudain répandue... Ces êtres ne sont plus que des cadavres puants. Le sang se glace devant leurs crimes ... Ils ont perdu tout visage humain. Il faut les anéantir comme de la charogne ... C'est Piatakov, ancien chef du premier gouvernement soviétique de l'Ukraine, qui dira cela à la veille de son arrestation. On reste confondu devant la prolifération de «monstres » qu'ont entraînée la suppression des classes et l'abolition de l'exploitation de l'homme par l'homme. Il faut remonter au temps des procès en sorcellerie pour trouver l'accent et les expressi_ons.que les .visionn_airesde la « fin de la préhistoire » ont mtrodwts dans le vocabulaire. Les saboteurs trotskistes ou autres ont pris la place de ceu~ 9.ue_leschasseurs de sorcières du Moyen Age designaient sous le nom de tempestarii 1 7. Ceux-ci avaient le pouvoir de provoquer des tempêtes et étaient tenus pour responsables des ravages causés par la grêle - mais les trotskistes étaient des «monstres à face humaine» dont les « plans et agissements criminels» s'étendaient sur le sixième du globe. Ils avaient assassiné Gorki à l'arsenic, essayé d'empoisonner le chef du Guépéou (qui plus tard se révéla un de leurs complices ) avec des émanations de mercure, vendu le pays morceau par morceau à toutes les puissances étrangères possibles et imaginables, saboté les moyens de transport, détérioré les machines, incité les paysans à tuer le bétail causé un peu partout des accidents de travail, etc: Au Moyen Age, les paysans du Lyonnais croyaient qu'il est ·une contrée, qu'ils nommaient Magoni~, « don! viennent, par-dessus les nuages, des· navires qw y rapportent les moissons que fauch~_la grêle ~t qu'abat la _tempête; les tempestani sont payes par ces navigateurs aériens» 1s. Remplaçons la Magonie par l'Amérique, l'Angleterre, la France, le Japon, la Yougoslavie ou tout autre « rapace impérialiste », et nous aurons . 17. Rap~elons en passant que Friedrich Adler, le premier, établit le parallèle entre les procès staliniens et les procès en sorcellerie. Cf. Un procès en sorcellerie, Paris, s.d. !8· S. A~obardi : Lib. de Grandine et Tronitruis, pp. 147-8 (Migne). Cité par V. Pareto : Traité de sociologiegénérale 1917, § 198. ,

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