Le Contrat Social - anno V - n. 1 - gennaio 1961

' 1 L. EMBRY Mieux vaudrait commencer par se demander ce que pourrait être une décolonisation raisonnable et positive, réduite à des corrections dont l'ensemble constituerait déjà un immense programme. Il est entendu qu'une révolution mondiale s'accomplit et qu'il ne saurait être question de la refouler. Les Blancs ont mésusé de leur force, ils se sont fréquemment chargés de fautes et de crimes, ils ont donné au monde le spectacle de leurs discordes funestes et ont expérimenté sur des villes japonaises les premières bombes atomiques ; même si l'on oublie un peu trop aujourd'hui ce qu'ils firent de louable, il y a bien là une sorte _de justice jusque dans l'injustice. D'autre part, le racisme est à juste titre radicalement flétri et la soif d'indépendance est devenue, pour les peuples hier colonisés, plus vive, plus impatiente que le désir d'une vie plus paisible ou moins famélique. Acceptons sans discuter ces données de base, et voyons ce qu'il en faut déduire. Ce n'est pas difficile, car aucune invention mirifique n'est vraiment nécessaire; il suffirait - mais c'est toute la question - que l'O.N.U. devînt un peu moins incapable d'honorer ses principes. Qu'est-elle avant tout, sinon un mécanisme de prévention des guerres ? Or une vérité qui rassemblera sans peine l'unanimité des suffrages veut désormais que toute colonisation est mauvaise qui recourt à la conquête militaire et à la violence. Dans la mesure donc, encore bien faible, où l'O.N.U. garantit la paix, elle interdit non pas la colonisation, mais son mode brutal et sanglant. D'autre part, son action se suspend à une majestueuse déclaration des Droits de l'Homme dont il est superflu de rappeler les oracles et d'où il suit que partout où l'on signale la persistance des iniquités racistes, de la traite des esclaves, du travail forcé, elle voit s'ouvrir devant elle un champ d'action qui dépasse infiniment ses moyens. Ce qu'elle y peut faire de pratique n'en serait pas moins un traitement des plaies qu'on a coutume d'imputer à la colonisation et qui saignent sur les territoires d'États anti-impérialistes à sens unique. Il y a de quoi occuper bien des années d'efforts, à supposer que soient maintenus ou accordés des moyens d'enquête et de contrôle. Si pourtant on estime que c'est encore trop peu, s'il se trouve des inégalomanes ou des illuminés qui réclament pour l'O.N.U. des tâches prométhéennes, on ne 1 Biblioteca Gino Bianco 17 leur refusera pas le droit de porter le regard en une direction qu'il serait osé de dire prometteuse. Il n'est question que de libérer des peuples asservis, de mettre en œuvre ou de faire espérer des procédures d'autodétermination ; c'est fort bien, mais on est payé pour savoir que le passage à l'acte n'est pas chose simple. S'il existait une autorité internationale et arbitrale reconnue par tous, il lui appartiendrait d'apprécier l'ampleur des revendications collectives de l'indépendance et de faire procéder sous sa responsabilité aux votes décisifs, mais cela signifierait qu'elle aurait pouvoir de s'intéresser aussi bien à la Hongrie qu'à l'Algérie, au Tibet qu'à l'Afrique du Sud. Nous sommes évidemment en pleine utopie, · mais l'esprit est apte à travailler en fonction de l'utopie, et il n'est pas prouvé d'ailleurs que l'expérience de l'intervention au Congo, si diversement jugée, ne puisse conduire à des conclusions utiles. Les réformateurs hardis ou impatients auraient donc tort de s'inquiéter ; ils ont, comme on dit, du pain sur la planche. Mais s'ils ne perdent pas tout à fait le sens des réalités, s'ils ne sont pas abasourdis par la démagogie, la polémique et la propagande, ils comprendront que les diatribes massives contre la colonisation ne font que détourner des vrais problèmes et tout envenimer sans rien résoudre. Que les peuples d'Asie et d'Afrique accèdent à l'indépendance et fassent leur apprentissage de la vie nationale, c'est justice, et ce sera peut-être progrès humain. Mais ils se perdront plus vite que nous s'ils n'obéissent qu'à des passions haineuses, qu'attisent et orientent les agitateurs communistes. Ils donneront au contraire belle leçon de sagesse s'ils dominent ressentiment et griserie, comprennent que le legs de la colonisation blanche n'est pas à dédaigner, que l'indépendance absolue est un leurre, que les libres ententes et la formation de grands ensembles économiques et culturels autour des centres de gravité de la planète est le seul moyen de contrebalancer une balkanisation anarchique qui ne favoriserait que les desseins des fauteurs de troubles et des fauteurs de guerres. Implicitement, on reviendrait ainsi à l'histoire en se libérant d'une légendesimplificatriceet dangereuse. • LÉON EMERY.

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