Le Contrat Social - anno IV - n. 6 - novembre 1960

362 officiers de la Sécurité d'État causent l'anéantissement d'une unité combattante qu'ils ont désarmée conformément à des instructions concernant les troupes échappées des territoires occupés par l'ennemi. Malgré tout, le choix des premiers mois de la guerre par Simonov fait de son .livre une œuvre assez peu orthodoxe. Car l'armée soviétique essuyait alors défaite sur défaite, des milliers de soldats se rendaient avec leurs généraux et l' existence même de l'Union soviétique était en jeu. A cet égard, Simonov semble avoir fait montre de courage politique. On ne peut attendre d'aucune nation, et encore bien moins de l'Union soviétique, qu'elle se rappelle de gaieté de cœur des redditions et des désastres. Mais c'est Khrouchtchev lui-même qui a soulevé cette question dans son discours « secret » de 1956, rendant du même coup le sujet sans danger pour les écrivains. L'important est de savoir qui, de Simonov ou de Khrouchtchev, a poussé le plus loin l'analyse. La réponse n'est pas simple. Tout en reconnaissant l'habileté de Simonov à se mouvoir sur la corde raide de la politique et l'apparente confiance avec laquelle il frise le non-conformisme, il n'en demeure pas moins qu'il a créé quelque chose de nouveau dans la littérature soviétique de guerre. Il donne un tableau prudent, mais vivant, de l'armée soviétique pendant la défaite. Nous voyons cette armée vaciller et se disloquer sous les coups de boutoir d'attaques par. surprise. Les soldats ressemblent à des brebis égarées et les généraux, près de lâcher pied, perdent tout espoir. Quand nous les voyons plus tard se reprendre et passer à la contre-attaque, c'est la première impression qui demeure. * ,,. ,,. SIMONOVfait le portrait bien tranché de deux généraux, qui tous deux jouent un rôle de premier plan. L'un a fait carrière en prêtant main forte au gouvernement lors de la purge des officiers à l'esprit indépendant. Délateur en temps de paix, il commet des maladresses quand la lutte s'engage et perd son unité en pleine action ; il gagne la forêt, s'y terre et cache son identité. L'autre général est victime de la purge. Arrêté sur une fausse accusation, il fait plusieurs mois de _prison et n'est relâché qu'au moment ou l'invasion oblige le gouvernement à rappeler ses généraux les plus compétents. C'est un homme honnête, courageux, et un chef de valeur. Encerclé par les Allemands, il persuade ses soldats de percer jusqu'aux lignes soviétiques. Pendant ce combat en retr~Jite, les deux généraux se retrouvent face à face et celui qui a naguère été victime d'une injustice traduit l'autre p·our lâcheté et abandon de poste devant une cour ma rthle improvisée : l'accuséest dégradé et trouveune finignominieuse, Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Simonov va même plus loin et .dévoile les.. secrets déplaisants du début du conflit. Dans la seconde partie, il brosse un tableau puissant et dramatique de la capitale soviétique en proie à la panique. Alors que les Allemands sont aux portes de la ville et qu'on s'attend à les voir faire une entrée victorieuse, les Moscovites s'enfuient vers l'Est. Les ministères et les rédactions des journaux sont évacués, les routes sont encombrées, la foule assiège les gares et prend d'assaut chaque convoi. Voilà ce qu'on n'avait jamais vu dans la littérature soviétique. Cependant la lutte, ou plus simplement les aventures du commissaire Sintsov, ne constituent pas le thème central ; il s'agit en fait des tribulations de Sintsov qui a perdu sa carte du Parti. Sintsov est blessé à la tête lors d'un bref engagement dans la forêt. Couvert de sang, il est laissé pour mort sur le terrain et l'un de ses camarades ramasse ses affaires personnelles et ses papiers pour les faire parvenir à la famille. Quand Sintsov reprend connaissance, il est seul : ce n'est plus un commissaire mais un traînard parmi tant d'autres, et privé d'identité. Il a perdu sa carte du Parti, ce qui, aux yeux des Soviétiques, est un crime qui équivaut à la trahison ; il est passible des peines les plus graves. Sintsov veut continuer de se battre, mais il ne peut rejoindre une unité régulière sans passer en jugement et se justifier. Devant cette tâche presque impossible, il décide de rentrer à pied à Moscou. Il parvient à éviter les barrages des abords de la cité et pénètre dans Moscou sans s'être présenté à aucune autorité. Dans sa lutte désespérée pour faire reconnaître son identité, il est enfin aidé par un commissaire humain qui lui permet de s'enrôler comme simple soldat dans un bataillon de volontaires ouvriers. Cette partie de l'histoire et les aventures qui suivent, les confessions de Sintsov et les efforts de ses supérieurs pour le faire monter en grade et pour amener le Parti à le reprendre au bercail, tout cela doit paraître au lecteur occidental dénué de sens et parfaitement artificiel. Or, du point de vue soviétique, c'est un cas typique de ce qui a dû arriver bien des fois pendant la guerre. Ce sont précisément les tribulations d'un membre du Parti qui a perdu sa carte qui font des Vivants et des morts un roman bien écrit selon l'optique du Parti. En combinant de façon intelligente des éléments opposés tels que l'invasion et la résistance, la défaite et le redressement, les fonctionnaires opportunistes et le personnage idéalisé de Staline, Simonov se montre un fidèle communiste. Son livre n'est pas véritablement une critique de la réalité politique de 1941. Simonov traite bien de sujets qui étaient tabous dans les années d'après guerre, il décrit ouvertement la panique des premiers mois, il parle des « erreurs » de Staline et va jusqu'à affirmer que les autorités se préoccupaient davantage de faire la chasse à de

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