Le Contrat Social - anno IV - n. 5 - settembre 1960

260 cédent, pour sa « mission de paix» aux Ét~t~- Unis. Et le 12 octobre suivant, la Pravda publiait un télégramme à la gloire du « grand peuple soviétique [qui] sous la juste direction du Comité central du Parti, avec à sa tête le camarade Khrouchtchev, a commencé la construction du communisme », signé Mao Tsé-toung, Liou Chao-tchi, Tchou-teh et Tchou En-lai.) En juin 1960, à Bucarest, les douze partis communistes qui sont au pouvoir, y compris celui de la Chine, réaffirment leur complète unité de pensée, conforme à la stratégie et à la tactique soviétiques formulées par Khrouchtchev. Le délégué chinois, Pyn Tchen, avait vanté « la puissance du camp socialiste ayant l'Union soviétique à sa tête » et souligné la possibilité d'éviter la guerre « si le camp socialiste, dirigé par l'Union soviétique, (...) se serre en une famille unie » (Pravda, 24 juin). Et Tchou En-lai, la veille, avait encore dit : « Le peuple chinois a toujours considéré le camp communiste, à la tête duquel se trouve l'Union soviétique, comme un tout intégral, cimenté par la chair et le sang » (Neue Zuercher Zeitung du 23 juin). Tant de répétitions finissent par susciter le doute, mais peuvent aussi s'expliquer par la pauvreté « idéologique», pour user d'un terme que le communisme a mis à la mode. Au début d'août, Tchou En-lai à l'ambassade helvétique de Pékin, puis le Jenmin Jibao (5 août) prônent à nouveau la coexistence pacifique entre pays de systèmes sociaux différents. A .la fin du même mois, Tchen Yi adresse d'Alma Ata à Moscou un message remerciant « le peuple et le gouvernement soviétiques pour l'aide qu'ils nous accordent par divers moyens » et saluant « l'amitié fraternelle et indestructible des peuples chinois et soviétique» (29 août). Tchen Yi insiste encore le 9 septembre, cette fois en citant Mao qui a dit : « Le renforcement de notre solidarité avec l'Union soviétique et tous les pays socialistes est notre principe fondamental. » Il semble que la ligne de conduite ainsi tracée soit assez constante et explicite. * ,,. ,,. MA1s à cette accumulation de textes écrits ou parlés qui sont des actes et correspondent à un état de choses bien tangibles, une école de glossateurs en Occident oppose une collection de sous-entendus, d'insinuations, de mots couverts, une polémique voilée qui dénoterait un « conflit idéologique » entre les deux États communistes, présageant la rupture de leur alliance. Selon cette école qui a le quasi-monopole de la presse, Khrouchtchev et son Comité central sont visés chaque fois que les Chinois attaquent Tito, qualifié «traître» et « agent de l'impérialisme», et qu'ils dénoncent le révisionnisme à grand renfort de citations de Lénine. On doit convenir qu'en ce cas, la rupture serait en effet virtuelle et il faudrait alors escompter à bref Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL délai un événement de majeure importance. Mais avant de conclure, il y a lieu de ramener à de justes proportions les données qui contredisent l'évidence. Le caractère anonyme des allusions qui foisonnent dans la phraséologie pédante des communistes à propos des déviations prétendues révisionnistes et dogmatistes laisse libre cours à toutes les hypothèses. Les secrets des deux centres directeurs étant bien gardés, on ne peut raisonner que sur des indices en s'inspirant des connaissances acquises à la lumière de conflits antérieurs dans le milieu communiste, conflits personnels déjà parés de couleurs « idéologiques ». Les indices collectionnés sont surtout des abstentions, des absences, des silences, des réticences, des dissonances verbales, des critiques implicites. ,, Dans leur exégèse, où le vrai et le faux s'entremêlent, la tentation est forte de céder à des idées préconçues. Quant à l'expérience du passé, elle suggère les précédents de l'incompatibilité entre Staline et Trotski (et Zinoviev, et Boukharine) où il ne s'agissait guère d'idéologie, mais dans des conditions trop différentes de la situation actuelle pour que l'histoire se répète. On discerne pourtant des traits à mettre en lumière. « La Chin'e d'aujourd'hui donne l'impression d'une nation entraînée par la volonté d'un seul homme, soumise à ses obsessions et esclave de ses moindres désirs (...) Le culte de Mao a atteint des hauteurs vertigineuses », atteste un correspondant du Times de Londres (15 avril). L'étude de Richard L. Walker sur le « culte de la personnalité» de Mao (publiée ici-même, p. 261) éclaire singulièrement le tableau et permet de mieux comprendre des incohérences et des absurdités que d'aucuns inclinent à insérer dans une certaine logique. On aura le temps d' épiloguer sur Mao poète et penseur, nageur et mégalomane. Le plus urgent est de ne pas se laisser prendre au jeu « idéologiqu,.e» qui risque d'induire en erreur les hommes d'Etat formés aux seules disciplines classiques *. L'erreur consiste à identifier Khrouchtchev au libéralisme et à la paix, Mao à l'intransigeance et à la guerre, alors que tous deux sont de même espèce totalitaire et que ni l'un ni l'autre ne peuvent faire la paix (véritable) ni la guerre (atomique). Elle incite à spéculer sur une rupture improbabfe à brève échéance et à envisager des compromis désastreux avec Khrouchtchev sous le prétexte insensé de le soutenir contre Mao. Elle interdit tout jugement sain sur les manœuvres tortueuses de Khrouchtchev en politique étrangère. Elle détourne les esprits des mesures sérieuses à concevoir et appliquer pour opposer au vent d'Est les contrevents et les brise-vent indispensables. , B. SOUVARINE. * Faute de place, un examen détaillé du prétendu • conflit idéologique ,, ainsi qu'une hypothèse sur sa cause réelle sont renvoyés à un article ultérieur.

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