278 atteint la maturité vers 1914. Dans les grandes lignes et pour la répartition dans le temps, il n'y a donc rien dans la succession des étapes russes qui n'entre dans le schéma général. A défaut d'une Ruhr Ces exemples sont de grande portée pour le présent. La diversité des voies dans l'avance vers la maturité doit être soulignée dans un monde où tant de nations cherchent à démarrer. Les dirigeants des pays sous-développés sont probablement fascinés par les schémas américain, allemand et russe, tels qu'ils les comprennent, plutôt que par l'exemple, sans doute plus pertinent, de la Suède ou du Japon. Or peu de nations ont été dotées d'une Pennsylvanie, d'une Ruhr, d'un « pays noir» ou d'une Ukraine. La plupart ne disposent que d'une gamme restreinte de ressources naturelles : bien exploitées et intégrées au marché mondial, elles peuvent faire l'affaire. Et certaines doivent s'en remettre presque exclusivement aux talents et à l'énergie de leur peuple - comme la Suisse, Israël et Hong-kong, qui ont réalisé un véritable tour de force économique en se hissant à l'industrialisation à partir de rien. Jusqu'ici la maturité a été envisagée du point de vue des changements dans la technologie et la composition de la main-d'œuvre, c'est-à-dire du côté de l'offre. Qu'en est-il de la demande et du revenu réel par tête d'habitant ? Peut-on associer la fin du démarrage à quelque chiffre bien défini représentant le produit national brut per capita, la maturité à un autre, l'âge de la consommation de masse et des biens de consommation durables à un troisième ? Il est à supposer qu'on trouvera pour chaque étape non pas un seul chiffre mais plusieurs. A la fin du démarrage, le revenu annuel réel peut s'étager entre 150 et 300 dollars américains par habitant ; à la fin de la marche vers la maturité, entre 400 et 600. De même que les sociétés traditionnelles peuvent, selon la pression démographique sur les ressources, la circulation des marchandises, etc., avoir des revenus annuels variant considérablement à partir de 40 dollars par tête au minimum, ces différences peuvent persister tout au long du processus de croissance vers la maturité. Il importe de ne pas confondre maturité technologique et richesse ; le potentiel militaire doit être distingué du revenu national ou de la consomma- - tion par tête d'habitant. De la confiance ... Le développement d'une société qui mûrit revêt d'importants aspects non économiques. A la fin du démarrage, les nouvelles équipes modernes détiennent le pouvoir ab~olu et l'exercent avec confiance, leurs adversaires étant défaits. L' Angleterre d'après 1815, l'Amérique d'après la guerre de Sécession; l'Allemagne de Bismarck d'après 1870, la Russie stalinienne des plans quinquen,- Biblioteéa Gino Bianco ) LE CONTRAT SOCIAL naux étaient dirigées par des hommes qui savaient où ils allaient. Somme toute, ce furent des périodes de foi en l'avenir, avec de grandes tâches bien définies dont on pouvait suivre les progrès ; et la · société, bon gré mal gré, laissait les mains libres à ses mentors industriels. Le · sort des ouvriers urbains et agricoles fut divers, allant ·du confort de la Suède au travail forcé de la société stalinienne ; mais d'une façon générale le pouvoir de ceux qui avaient la haute main sur le capital et la technologie ne rencontrait pas d'opposition sérieuse. Néanmoins le processus portait en lui les germes de sa propre modification. Premièrement, il entraînait un changement dans la main-d'œuvre. Une maturité en marche n'apporte pas seulement une croissance de la population urbaine, mais elle augmente la proportion des employés et des techniciens hautement qualifiés - rejetons de plus en plus intelligents de la ville et du monde de la technologie. Leur salaire réel va sans doute augmenter ; et, chose plus importante, ils se rendent compte qu'en s'organisant et en affirmant leur présence ils peuvent obte1,jr de meilleurs salaires et une sécurité plus grande. ft1nsi le processus même de progression vers la maturité engendre des pressions sociales qui à leur tour imposent à ce processus des modifications humaines : législation anglaise des usines pendant les années 1840, concessions de Bismarck, réformes de Lloyd George, ère américaine dite progressive et peut-être concessions faites depuis 1953 au consommateur et au technicien russes. Deuxièmement, le caractère des dirigeants change, du grand flibustier du coton, des chemins de fer, de l'acier et du pétrole à l'administrateur diplômé d'une machine hautement bureaucratisée et différenciée. .... au doute En troisième lieu, la société dans son ensemble est un peu lasse du miracle de l'industrialisation et nourrit des arrière-pensées quant à ses mérites comme objectif premier et unique. Les Fabiens et les écrivains à thèse, Ibsen, Shaw et Dreiser, traduisent ces arrière-pensées ; et Marx se joint à cette protestation contre le prix humain de la marche à la maturité. Ces changements dans la structure, dans les ambitions et les conceptions de la société aboutissent à une série de choix décisifs concernant les objectifs à atteindre. Comment la machine industrielle parvenue à maturité, avec ses intérêts composés, sera-t-elle utilisée ? A accroître la sécurité, le bien-être et peut-être les loisirs pour tous ? A accroître les revenus réels (donc à multiplier les gadgets) de ceux qui peuvent les acquérir ? A faire valoir la nouvelle société sur la scène mondiale grâce à des aventures militaires ? La· maturité, comme l'âge mûr, est une époque de choix dangereux autant que prometteurs. ·
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