Le Contrat Social - anno IV - n. 3 - maggio 1960

mais qui ne s'étend pas au-delà des vues qu'appelle le souci de définir une bonne politique sociale. Cette prudence, cette objectivité surprennent d'autant plus qu'on s'était mis en quête des éléments constitutifs d'un socialisme humaniste. L'adjectif n'en est pas moins très précieux ; peut-être même éclaire-t-il le problème en ses profondeurs. Marx s'est flatté de construire un socialisme scientifique, le seul valable par définition; de là précisément la fragilité de son œuvre, car sa science était hâtive et téméraire. Qu'on admire tant qu'on veut les analyses économiques du maître, il n'en est pas moins évident qu'elles sont dépendantes d'une époque et qu'il était très aventureux d'en vouloir dégager pour tous les temps à venir une science des sociétés, dont les principes furent d'ailleurs conçus préalablement à toute enquête. Soutiendra-t-on qu'elle s'acco1npagne d'une méthode qui permet la correction des erreurs et l'intégration des nouvelles expériences ? Nous demanderons comment la dialectique matérialiste, née de la rencontre de la logique hégélienne et du positivisme des savants à courte vue, justifie sa prétention d'embrasser le champ entier du réel et de garantir à qui l'emploie une sorte d'infaillibilité. En fait, il est visible que la sociologie et bien plus encore la psychologie de Marx sont en plein désarroi, que l'ensemble de la doctrine doit tout désormais à la raison d'État et à la propagande, que, très adultérée en même temps que sclérosée, elle ne produit plus rien d'efficace, sauf dans le domaine de la tactique. Est-ce à dire qu'on doive tenir pour un bizarre accident la floraison des théories socialistes, si remarquable depuis la seconde moitié du xv111e siècle et parmi lesquelles le marxisme ne saurait revendiquer que sa juste place ? Personne ne défendra pareille absurdité ; on ne doute pas qu'il y ait eu conscience d'éléments nouveaux et qu'il faille chercher les causes de cette mutation d'une part dans les choses, d'autre part et non moins dans le cœur de l'homme. L'importance de la révolution industrielle et de l'apparition des machines n'est pas discutable; encore fautil tenir compte corrélativement d'une révolution morale tout aussi décisive. Dans la table des valeurs dressée par la sagesse antique et la sagesse chrétienne, le travail était bien éloigné d'occuper une place éminente, puisque la méditation et la contemplation définissaient la vie supérieure, ainsi détachée de l'action. Mais sous l'influence des penseurs anglais et, si l'on veut, de Voltaire, tout va changer. La promotion morale de l'action utile, du travail bienfaisant, s'accomplit avec rapidité ; par un glissement naturel on en vient à louer les formes les plus communes du travail, les métiers de la ville et des champs. La plupart des idéologues socialistes furent des bourgeois; cela n'a rien de surprenant, car l'utilitarisme bourgeois préparait à comprendre cette justice pratique et relativement simple ; Biblioteca Gino Bianco - 145 elle ne se contentait pas d'exiger une meilleure rémunération du travail, elle faisait grand cas de la dignité des travailleurs et de ce qu'on allait appeler leur capacité pJlitique. Mais, aujourd'hui que ces idées sont devenues la banalité même, les débats pour ou contre le socialisme ne sont-ils pas en train de se vider de leur substance ? Jetons un coup d'œil sur ce qui se passe de la Suède à l'Amérique du Nord. Sans doute continue-t-011 à y distinguer en gros, très en gros, une gauche socialisante et une droite plus conservatrice ; 1n:1is,outre que c'est souvent la droite qui met en œuvre les réformes sociales les plus efficaces, h différence n'est plus guère que dans les techniques gouvernementales et financières. Les modérés affirment que le but premier est la prospérité générale, laquelle retombe en pluie fécondante sur la classe des travailleurs. Ceux qui se piquent de progressisme ripostent qu'il faut d'abord relever le niveau de vie des 1nasseset qu'en augmentant leur puissance de consommation on stimule du mên1e coup toute l'économie. Selon les fluctuations politiques, on va ainsi plus ou moins loin, plus ou moins vite dans la voie des nationalisations et des contrôles dirigistes, dans celle de l'inflation des salaires et des crédits, dans celle de la démocratisation scolaire. Mais en vérité. qu1nd on regarde d'un peu haut ou avec un suffisant recul, juge-t-on qu'il y ait lieu de se passionner pour telle ou telle manière d'exécuter des variations sur un 1nême thème ? A travers les agitations et les remous, on voit se dessiner des continuités bien plus probantes que la logomachie confuse des bagarres électorales. III CERTES, il n'y a plus de quoi se passionner. Si les hommes étaient sages, si l'une de leurs plus chères habitudes n'était pas de se quereller furieusement pour des mots souvent mal entendus, ils comprendraient que, dans nos vieilles nations démocratiques, le socialisme a poussé à la mise en place d'une législation qui partout s'amplifie ; que, ce faisant, il a rempli son rôle historique ; et que les meilleurs esprits échouent désormais lorsqu'ils cherchent pour lui un programme neuf. Tout indique qu'on évolue vers le régime anglo-saxon ou scandinave des deux partis qui alternent au pouvoir en vertu d:~ système de compensations dominé par l'emp1nsme. Dans la zone la plus industrialisée du monde, celle où persistent les civilisations démocratiques les plus solides, le problème social trouve des solutions partielles et progressives qui ne ressemblent en rien à celles que prévoyaient Fourier, Proudhon ou Marx. De tous les précurseurs du socialisme, c'est encore Saint-Simon qui peut se flatter dans sa tombe d'avoir le mieux déchiffré l'avenir. Nous n'en concluons naturellement pas que la misère ait disparu, que tout soit désormais

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