54 Il propose de boire « à une justice aussi expéditive que possible pour les criminels de guerre allemands. Buvons à la justice du peloton d'exécution... » Et encore : « Je bois à notre résolution de les liquider dès leur capture. Tous, sans exception. Il y en aura quelque cinquante mille... » Personne ne s'y trompait, ni Churchill qui, dans une sortie véhémente, avait invoqué le Droit et la Justice, s'exclamant sur la proposition d'assassinat collectif, ni Roosevelt s'essayant pesamment à détendre l'atmosphère ... A Yalta, en février 1945, on reparle d'un grand procès. Vaguement. Staline, partisan de la manière expéditive, est contre, tandis que les Américains ont imaginé des chefs d'accusation neufs, tels que «conjuration» ou « guerre d'agression », dont l'arbitraire et le caractère discriminatoire sont évidents, mais qui seront retenus ; sur quoi, on remet à plus tard. Anglais et Français restent hostiles à la procédure spectaculaire et cherchent un moyen terme, mais les Américains tiennent au procès. Certes, bien des objections s'imposent. D'abord, « comment éviter de donner au monde le pénible spectacle d'un groupe de vainqueurs jugeant un groupe de vaincus ? » On l'évitera si peu que Nuremberg donnera à Gœring l'occasion de marquer ce point : « Le vainqueur sera toujours juge, le vaincu accusé. » En 1945, à San Francisco, lors de la session inaugurale des Nations unies, lorsque sera détaillé, sur l'initiative américaine et devant les techniciens délégués des « Quatre Grands », le projet de ce que pourrait être le procès international, des divergences graves se manifestent, et deux mois plus tard, à Londres, les problèmes posésparaissent toujours insolubles (p. 83). : « 1. Quelle sera l'attitude du tribunal si la défense allemande fait état des guerres d'agression et crimes à mettre au compte d'autres pays ? » - Pas d'autre moyen que l'obligation, insérée dans les statuts du tribunal, de limiter les débats aux actes commis par les accusés. Donc interdiction de critiquer, ou même de qualifier les actes des gouvernements vainqueurs. « La question ne sera pas posée » : partialité préconçue qui ne peut en imposer, loi discriminatoire, atteinte aux droits de la défense, tout se trouve inclus dans cette mesure injustifiable. « 2. Comment justifier la mise en accusation et la condamnation de certains hommes dont les actes, en l'état actuel du droit, ne sauraient être qualifiés de crimes ? » - C'est l'adage français Nulla pœna sine lege. « 3. En créant des dispositions nouvelles, n'exposera-t-on pas les hommes d'État des pays vainqueurs à être jugés, un jour, d'après ces mêmes dispositions ? » - C'est évident : pas de peine sans loi, et sans loi préalable ; pas de loi, sans généralité d'application. « 4. Faudra-t-il aborder le chapitre scabreux des attaques aériennes contre les villes ouvertes Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL et les populations civiles ? » - Bien d'autres chapitres sont scabreux dans une guerre totale, comme, par exemple, celui des ordres inhumains donnés aux commandants de sous-marins, aussi bien allemands qu'anglais et américains (p. 306). Les auteurs, en ce deuxième chapitre, ajoutent : Londres où se tient la conférence grouille de réfugiés esthoniens, lithuaniens, lettons, polonais. Ces exilés contestent vigoureusement aux Russes le droit de siéger dans la future cour internationale : l'URSS qui, en 1939, a fait cause commune avec Hitler pour dépecer la Pologne, qui a mené des guerres d'agression contre la Finlande et les États baltes, qui s'est rendue coupable de tant d'exactions - devrait figurer parmi les accusés, et non parmi les juges. Comme toute juridiction d'exception, qu'il s'agisse d'un Tribunal d'État de Vichy, d'une Cour de justice de la Libération ou de toute autre juridiction analogue, le Tribunal de Nuremberg est ainsi condamné dans son principe même. Il manifestera ses tares constitutives au cours d'interminables débats qui ne sont pas vraiment contradictoires. Il rendra la justice des vainqueurs dans un style analogue à celui que pratiquent les régimes qui ont recours à ce genre de manifestations spectaculaires. Non que l'on doute un instant du caractère exécrable des inculpés traduits devant ladite juridiction. Mais même pour les pires criminels, ce n'est ni une raison, ni une excuse : on ne vient pas à bout du crime en utilisant des méthodes qui pourraient être les siennes ; la force ne remplace jamais le droit ; on ne peut admettre que Staline juge Gœring, qu'Auschwitz excusé Katyn. Les auteurs du livre, qui à juste titre abhorrent le nazisme, n'ont pas exposé ces considérations, mais ils ne semblent pas s'être fait illusion, car ils terminent leur ouvrage sur cette note : « Le triomphe de la Justice ? Voire... Autant en emporte le vent ... » Leur reportage rétrospectif, puisqu'ils font souvent· intervenir des faits qui n'ont été connus que des années après le procès, est à la. fois intéressant et accablant pour les nazis : leur bestialité et l'énormité de leurs crimes s'avèrent terrifiantes. Certaines pages sur le nombre des victimes, l'horreur et le rythme des exterminations collectives, le fonctionnement effroyable de la chambre à gaz de Belzek narré par un S. S., passent en atrocité tout ce qu'il est possible d'imaginei;. . Avant d'en venir au procès lui-même, dans un premi~r chapitre, « La grànde battue »,les auteurs, après avoir évoqué la fin d'Hitler et de Goebbels dans le bunker de Berlin, racontent de façon anecdotique la capture des « grands nazis » en mai-juin 1945 : Parrestation négociée de Gœring,
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