Le Contrat Social - anno IV - n. 1 - gennaio 1960

30 nisme scientifique prescrit de sagement aller des corps grossiers aux molécules, de celles-ci aux atomes, etc., en évitant toujours de sauter les intermédiaires. Ainsi, dans la transposition analogique effectuée par le premier matérialisme historique, il était bon de ne pas passer directement de la religion ou de la philosophie à l'économie en omettant l'intermédiaire politique et l'avantdernier échelon des luttes sociales. Dans ses mises au point épistolaires à l'usage de jeunes marxistes, Engels a la partie belle pour prouver, renvoyant aux textes, que ni lui ni son ami n'ont donné l'exemple extravagant du saut périlleux. On pourrait donc en appeler du mécanisme historique mal entendu au mécanisme mieux entendu. Mais ce qui n'est plus «mécaniste», c'est le nouveau principe de l'inégalité de l'action et de la réaction, qui constitue en propre la découverte d'Engels et qu'il aimerait sans doute opposer à Newton, en science sociale tout au moins. Quelles preuves expérimentales y a-t-il de cette nouveauté ? Quant aux preuves empiriques, on n'en connaît guère d'autre que le crédit du vieux dicton selon lequel il faut bien vivre avant de philosopher, auquel on ne saurait décemment réduire l'esprit d'une doctrine. Engels peut-il maintenir jusqu'au bout son principe de l'inégalité de l'action et de la réaction en physique sociale ? Ce principe est d'allure encore un peu trop mécanique et l'on comprend aisément pourquoi des cc marxistes » plus avancés sur le chemin de la· dialectique que le maître lui-même ont par la suite préféré se débarrasser complètement de la conception des facteurs de l'histoire en lui substituant des phrases majestueusement hégéliennes sur la « totalité ». Il subsiste chez Engels un résidu de mathématisme verbal lorsqu'il soutient que l'importance de l'action doit toujours dépasser celle de la réaction. Mais qu'est-ce que cela veut dire, si l'on ne sait ni isoler ni mesurer ? Il paraît donc préférable de revenir à la conception hégélienne de la causalité circulaire où il n'est plus question de suggérer la possibilité d'une comparaison quantitative, ce qui permet de retrouver plus franchement encore le cycle antique des contraires. On voit clairement le caractère circulaire de l'explication matérialiste historique quand Engels est amené à faire intervenir, parmi les ingrédients du niveau des forces productives, l'état de la science, laquelle constitue manifestement une superstructure de rang assez élevé. Il est évident, d'autre part, que l'état de la science dépend de celui de la technique, celui-ci des besoins, des aptitudes et des ressources. Le problème devient alors celui de la poule et de l' œuf. Tout n'est pas résolu par cette constatation puisque, dans I'Anti-Dühring, Engels nous fait assister à une nouvelle culbute dialectique, signalée par « le saut du royaume de la nécessité dans celui de la liberté». Dans le royaume de la nécessité •'prérévolutionnaire tout se passe conformément à l'ancien schéma, puisque l'infra- - BibHoteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES structure économique prime la superstructure, politique ou autre, les hommesJ n'ayant pas encore consciemment dominé le jeu aveugle des forces de la production. Mais dans le royaume promis de la liberté tout sera renversé, comme dans la parabole évangélique, le Prince de l'ancien monde étant déchu : désormais le politique doit primer l'économique, l'économie étant _étatisée et planifiée. On nous rassure préventivement en prophétisant encore que l'État, après_ av?ir digéré la société, consentira à dépérir, c'est-à-dire à se résorber dans sa nourriture, par la grâce de la souveraine dialectique, qui cette fois du boa fait renaître le lapin. Mais si l'on s'en tient à la première et déjà assez sensationnelle métamorphose, on constate que dans cette aventure le matérialisme a disparu: la dialectique l'a dévoré. L'idéalisme est ressuscité, car si les esclaves de la nécessité étaient contraints de se servir de leurs pieds, les enfants de la liberté pourront glorieusement marcher sur la tête. Hegel a triomphé. UN SECOND ASPECT de la question est suggéré par le débat de la social-démocratie allemande et du bolchévisme, lorsqu'on convient de le ramener au plan théorique. Légataire apparemment universelle de la doctrine, la social-démocratie a été accusée de déviation fataliste. Qu'estce à dire? Les manuels ont coutume de distinguer le fatalisme, conception d'origine théologique, du déterminisme, postulat de la recherche scientifique. Le fataliste admet que ce qui est arrivé devait arriver par la volonté des dieux ou l'inclinaison du cours des astres, tandis que le déterministe estime que si telles conditions sont posées tel résultat s'ensuivra. Le déterminisme ainsi con1pris ne serait qu'un fatalisme hypothétique, selon la distinction que l'on peut faire remonter à Leibniz mais qui fut amorcée par le stoïcien Chrysippe en un temps où il n'était guère question que de divination. En fait, la différence entre fatalisme catégorique et déterminisme hypothétique est moins grande qu'on ne le dit : il suffit que les conditions appropriées soient effectivement données pour que la prévision, d'hypothétique, se transforme en catégorique, le déterminisme paraissant alors involuer en fatalisme. D'autre part, s'il est entendu que le fatalisme procède de l'astrolâtrie qui a donné naissance à l'astrologie, celle-ci était encore confondue au temps de Kepler avec l'astronomie, laquelle a fourni le premier modèle - et le plus exact - du déterminisme scientifique. La différence entre astronomie et astrologie paraît résider principalement dans l'ampleur des prétentions de cette dernière: tandis que l'astronome moderne ne calcule que des mouvements célestes à partir de mouvements célestes (en y comprenant les phénomènes

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==