Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

326 aux capitalistes de financer le défi qui doit aboutir à les porter en terre. S'ils ne veulent pas s'y prêter, conclut-il, le système « socialiste » réalisera ses plans tout de même, sans aide extérieure. Mais de quelle façon ? L'originalité soviétique avait déjà fait ses preuves avec les sovkhozes travaillant à perte, de l'aveu officiel, leur déficit étant comblé aux frais de la population laborieuse accablée de privations et de souffrances. Les rébus et subtilités de -la statistique totalitaire ne laissent pas actuellement pénétrer les arcanes de ce mode d'exploitation agricole. Dans l'industrie, un cas révélateur a été étudié de près par le Times de Londres (22 et 23 juin 1959), celui de l'extraction aurifère, d'importance indéniable. Le technicien britannique calcule, chiffres à l'appui, le prix de revient d'une tonne d'or extraite dans la région de Magadan ; il arrive au total de quelque 21 millions de roubles (main-d'œuvre, outillage, transports), soit environ 166 dollars l'once, alors que l'or se traite en Occident à 35 dollars l'once. Autrement dit, le prix de revient soviétique est grosso modo cinq fois plus élevé que le prix de vente capitaliste. Les calculs précis et détaillés du Times sont peut-être susceptibles de discussion entre spécialistes, mais guère compressibles. Le « système » de Khrouchtchev est certainement seul au monde à se féliciter de produire cinq fois - plus cher qu'ailleurs. On comprend que les princes qui gouvernent l'aire communiste soient si avares de leur or. · PERSONNE ne conteste que l'Union soviétique, • avec ses immenses rich.esses naturelles, ses populations soumises à la plus dure discipline du travail, ses emprunts multiples à la technique étrangère, etc., ait augmenté en quantité considérable sa production industrielle depuis la guerre (tandis que la qualité ne va pas de pair). Les savantes réfutations d'économistes libres qui ramènent à de plus justes proportions les prétentions du défi ne nient pas l'évidence 2 • Elles soulignent les différences dans les méthodes de calcul, les dissimulations et les obscurités du matériel statistique publié, l'absence de données qualitatives, les faits que Moscou passe sous .silence, et elles incitent l'économie libérale à ne pas s'en2. Depuis juillet dernier seulement, aux États-Unis,· celle du professeur G. Warren Nutter, de l'Université de Virginie, qui résume l'enquête du National Bureau of Economie Research ; celle de Colin G. Clark, au nom de l'Econometric Institute ; celle de M. Howard C. Peterson, pour le Joint Economie Committee of Congress; celle dont M. Allen · Dulles a donné lecture devant ce dernier organisme. Elles présentent des disparités inévitables qui attestent la sincérité, l'objectivité des travaux menés séparément en toute indépendance. En français, les Problèmes économiques, n° 622, édités par la Documentation Française (16, rue Lord-Byron, Paris), ont reproduit une excellente étude d'ensemble faite par M. Rolf Wagenführ pour les Information$ statistiques de la C,/1.Ç.A. (n° de juillet-aoftt), · · Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL dormir dans les délices du laissez faire, laissez passer. Ce qui est contestable et contesté, en l'occurrence, outre les exagérations et les extrapolations arbitraires du mythe communiste actuel, c'est l'essence du progrès quantitatif obtenu à un coût monstrueux, inexcusable, c'est l'ambition démesurée de s'imposer au monde, d'abord en exemple, ensuite en « système ». S'il fallait accorder foi aux succès matériels du , . . , . . reg1me sov1et1que, ce ne serait pas encore une raison suffisante pour les désirer en sacrifiant la table des valeurs de la civilisation occidentale, en subissant le dogme de l'infai11ibilité léniniste, la loi du parti unique, la règle ou le dérèglement d'un Guépéou, le règne de la torture et de la terreur, tout ce qui caractérise l'histoire de l'Union soviétique. Rien ne prouve que la « recherche du bonheur » oblige d'emprunter telle voie plutôt qu'une autre, de se soumettre à l'alternative trompetée par un Khrouchtchev, de renoncer à un genre de vie imparfait, mais perfectible, pour servir de matière expérimentale à des rebouteux en vivisection sociale. Un esprit sain ne saurait croire sur parole l'assertion suivant laquelle l'accroissement indéfini de la production au-delà des besoins réels se traduirait en progrès pour l'ensemble des intéressés. Le progrès consiste dans une production à la mesure des besoins et dans une répartition conforme à des principes de justice fondés sur le travail et le mérite. Substituer aux anciennes classes privilégiées une nouvelle classe exploiteuse formée autour du parti communiste et dont l'âpreté au gain, la volonté de domination, l'inhumanité font regretter le passé partout où l'expérience a eu lieu, un tel programme est trop inavouable pot1r être franchement défendu par ses promoteurs : Khrouchtchev n'a de chance de l'imposer que sous un camouflage en menant ce qu'il appelle une lutte « politique et idéologique ». En d'autres termes, il s'agit toujours de guerre froide. Sous le couvert de la coexistence, sous l' expression captieuse de compétition pacifique, sous le mythe du défi économique, une même pression incessante et multiforme continue de s'exercer sur toute société perméable à l'influence, au chantage, aux manœuvres conquérantes du nouvel impérialisme masqué d'altruisme, habile à renouveler sa terminologie pour mieux arriver à ses fins immuables. A la vérité, l'émulation dans l'économie, la production et la technique ne menace personne. Mais la « lutte politique et idéologique » est un défi permanent et tangible auquel on a le devoir inéluctable de faire face avec les armes appropriées de la critique en un temps qui exclut la critique par les armes, soit dit en paraphrasant un auteur~ irrécusable à Moscou. Affaire d'ordre intellectuel et moral pour l'Occident acculé à la défensive. B. Souv ARINE,

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