Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

364 Ainsi donc, il était clair en été 1959 que le régime s'efforçait de créer un équilibre entre l'Etat et les communes. La direction, reconnaissant que la décentralisation avait été poussée trop loin, avait ordonné un arrêt et amorcé un retour en arrière, mais la réintégration ne signifiait pas que tous les avantages de la décentralisation avaient été abandonnés. Un équilibre devait être trouvé, qui permît aux communes une certaine initiative tout en assurant à l'État . , . une autor1te mtacte. Les observateurs occidentaux 011tgénéralement eu trop tendance à considérer que le mécontentement paysan dans les communes pouvait contribuer à façonner la politique du régime. Que l'éclatement de la vie de famille traditionnelle, le travail incroyablement dur imposé aux paysans et le niveau de vie évidemment bas, souvent très bas, qui prévaut dans les communes aient provoqué un méconte11tement, cela ne fait pas de doute. Les dirigeants en ont été troublés, comme le prouvent les concessions faites dans la résolution de Wouhan et les nombreux mouvements de « rectification » lancés par la suite et qui se poursuivent. Il serait cependant faux d'en conclure que le mécontentement des paysans a été la préoccupation majeure du régime quant aux communes. Les publications chinoises sont d'habitude un miroir assez fidèle des préoccupations des dirigeants. C'est ainsi que la très profonde inquiétude qu'inspira au régime la crise au Tibet se traduisit par un déluge d'écrits qui tentaient de démontrer que les Tibétains avaient fini par « accueillir avec satisfaction» l'introduction du socialisme dans leur pays. Dans le cas des communes, bien qu'il y ait eu dans la presse. des indications sporadiques sur l'existence d'un malaise, l'absence de toute campagne concertée -indique nettement que d'autres aspects des communes avaient plus d'importance dans l'esprit des dirigeants. Le problème le plus grave posé au régime par le développement initial des communes paraît avoir été la décentralisation ex.cessive. Les communes tendaient à devenir des îlots économiquement autonomes qui opéraient de façon plus ou moins indépendante dans des régions. soumises jusqu'alors à l'autorité centralisée de l'État. L'incorporation de l'administration des communes à la bureaucratie de l'État et la nomination d'hommes choisis par le Parti. n'avaient pas fourni de garanties suffisantes contre cette décentralisation, le Parti ayant dû admettre dans les cadres un grand nombre de recrues locales, ce qui renforçait l' « esprit de clocher ». Si la décentralisation excessive avait été la première préoccupation du régime ·parce qu~elle affaiblissait l'autorité coordonnée, centralisée, l' « égalitarisme » excessif fut la sec~n.de parce qu'il réduisait le~ ençou.ragetnent~ au ~ra.vail,·militant ainsi contre l'objet même .de là création des communes - l'accroissement· de la production. BibliotecaGinoBianco LtEXPÊRIENCE CôMMUNISTE En effet, la décentralisation et les idées égalitaires avaient déjà présenté un danger pour l'État dans une période antérieure de l'histoire de la Chine. Les paysans chinois tendent traditi~nnellement à s'identifier fortement à leur village natal et l'organisation villageoise décentralisée renforce d'habitude cette identification en développant une étroite solidarité orientée sur le village. L'égalitarisme encourage la résistance des paysans à l'exploitation et leurs organisations ont parfois été des pépinières de la révolte, comme dans le cas du soulèvement des Taï-pings au x1xe siècle. En conséquence, lorsqu'on incita les communes à avoir leur milice, beaucoup de communistes mirent en doute la sagesse de cette mesure. Depuis, les milices communales ont été placées discrètement sous l'autorité militaire centralisée. Tous les efforts du régime ont tendu ces derniers mois à réaffirmer l'autorité du Parti, afin de trouver un équilibre entre l' « initiative » et la « spontanéité » locales, d'une part, et le maintien de l'autorité suprême, de l'autre. Reste à savoir si un tel équilibre est possible et s'il répondrait aux attentes économiques du régime. ( Traduit de l'anglais) H. F. SCHURMANN. N.d.l.R. - De nouvelles décisions du Comité central du P.C.Cl1. reconnaissent que le « bond en avant» - en particulier le système des communes - n'a pas répondu à l'attente du régime. Un communiqué du 26 août révèle que le C.C., réuni les 2-16 août à Louchan, s'est <livré à un examen détaillé de la situation et a réduit considérablement les objectifs fixés par le plan économique de 1959. Les réductions sont substantielles pour l'acier (de 18 à 12 millions de tonnes) et le charbon (de 380 à 335 millions de tonnes), mais beaucoup plus sensibles encore pour l'agriculture où l'objectif de 1959 pour les grains passe de· 525 à 275 millions de tonnes et pour le coton de 5 à 2,3 millions. Le C.C. a fondé sa décision sur la production réelle de la première moitié de 1959 et sur les « statistiques vérifiées » .de 1958 qui montrent que les chiffres publiés (et sur lesquels reposaient les prévisions pour 1959) avaient êté grossièrement exagérés. Par exemple, la production« vérifiée» de grains a été de 250 millions de tonnes seulement au lieu des 375 précédemment annoncées, et pour le coton de 2,1 millions de tonnes au lieu de 3,35.. De plus, sur 11,08 millions de tonnes d'acier produites en 1958, 3,08 venaient d'installations rudimentaires impropres à l'usage ; par suit~ de la pénurie de main-d'œuvre agricole, cette production rurale ne sera plus incluse dans le plan national mais laissée à la discrétion locale. Le commuriiqué reconnaît en outre l'existence de dissensions sur les communes et dénonce les « idées opportunistes de droite » parmi les cadres du Parti comme « principal danger qui menace· la poursuite du bond en avant ». ·

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