Le Contrat Social - anno III - n. 6 - novembre 1959

D. T. CATTBLL En dépit de tout cela, nombre de dirigeants nationalistes qui, à un moment donné, affichaient leur sympathie pour la politique communiste - le Dr Nkrumah, aujourd'hui premier ministre du Ghana, en est un exemple notable - en usaient comme d'une simple arme tactique contre les puissances coloniales. La meilleure preuve en est les mesures prises par les gouvernements du Ghana, du Soudan et de la Nigeria, depuis qu'ils ont acquis l'indépendance, pour écraser les communistes et brider leurs sympathisants. D'autres dirigeants, qui avaient accordé leur soutien aux communistes parce qu'ils approuvaient beaucoup de leurs idées et de leurs méthodes tactiques, se sont dégagés par la suite plutôt que d'être obligés d'accepter la suprématie de Moscou. Le boomerang de la propagande UNE DESRAISONSpour lesquelles les communistes, malgré leurs atouts, n'ont pas réussi à faire accepter par l'élite nationaliste une identification solide et durable au communisme réside dans leurs erreurs passées dans le domaine de la propagande et de la stratégie. L'arme la plus efficace de l'arsenal de la propagande communiste sur l'Afrique a toujours été la ligne anticoloniale, qui dénonçait l'exploitation des pays coloniaux par leurs maîtres européens, tout en soulignant le soutien sans défaillance accordé par l'URSS à la cause de l'indépendance nationale, en particulier à l'O.N.U. D'autre part, la concentration plus récente des a!taques de la propagande communiste sur les Etats-Unis plutôt que sur les puissances coloniales européennes - sous prétexte que l'Amérique n'encourage l'indépendance des colonies africaines qu'à seule fin de préparer la soumission de celles-ci à l' « impérialisme économique » américain - n'a pas été accueillie avec sympathie par l'intelligentsia africaine. Le principal objet de l'hostilité de cette dernière a toujours été les puissances coloniales européennes, tandis que _son attitude à l'égard des États-Unis (comme envers l'Union soviétique) est àmbivalente. La conférence panafricaine réunie en décembre 1958 à Accra fut une démonstration frappante de cette ambivalence. La déclaration fina1e proclamait que le panafricanisme « s'inspirait des treize colonies américaines » ; cependant, une de ses résolutions condamnait l'O.T.A.N. et son organe économique, l'O.E.C.E., comme étant des manifestations du « colonialisme mili- . , . taire et econormque ». En tout cas, pour les Africains, les États-Unis ne sont pas l'ennemi n° 1 et les efforts fébriles de la propagande soviétique pour le leur faire croire ont non seulement été inopérants mais ont même eu un effet de boomerang. Pour avoir été soumis à un feu roulant de propagande antiaméricaine - attaques contre la doctrine Truman, le plan Marshall et même les programmes d'aide économique dont l'Afrique bénéficie directement, attaques contre les arrangements de sécurité et Biblioteca Gino Bianco 335 les bases militaires à l'étranger (avec insistance particulière sur les bases d'Afrique), attaques contre la « jémocratie bourgeoise » incarnée par les États-Unis - les dirigeants avertis du nationalisme africain purent se rendre compte que les motifs de cette campagne n'avaient rien à voir avec le bien-être de l'Afrique : il s'agissait, plus prosaïquement, d'affaiblir les États-Unis et l'unité occidentale pour le compte du bloc soviétique. Ce qui a eu pour résultat de renforcer la méfiance des Africains à l'égard de l'URSS, à qui ils reprochent de vouloir les utiliser à ses propres fins dans la « guerre froide ». Parmi les intellectuels africains conscients des vues soviétiques réelles sur le continent, telles qu'elles se reflétaient dans les études africaines publiées en URSS et dans la presse soviétique, cette réaction a dû être encore plus forte. Les études soviétiques sur l'Afrique étaient non seulement maigres, formant une part insignifiante de la production des divers instituts et académies d'études « orientales », mais aussi relativement mal documentées 9 • En effet, au moins jusqu'en 1953, les spécialistes traitaient généralement l'Afrique comme un sous-continent de l'Asie ne possédant aucun trait distinctif propre et maintenaient que la « théorie de la révolution coloniale » formulée par Staline tenait lieu de « guide pour l'action» valable pour toutes les régions coloniales 10 • Quant à la presse, une analyse du contenu des articles publiés sur le colonialisme révèle que l'Afrique n'était même pas mentionnée dans la moitié d'entre eux et que pour le reste elle ne faisait l'objet que d'une brève mention ou d'un traitement superficiel. Erreurs stratégiques Les bévues stratégiques ont été plus importantes encore que les défauts de la propagande communiste comme facteur d'aliénation du sentiment nationaliste africain. Produits de l'époque stalinienne pour la plupart, elles ont laissé une trace encore visible. Outre sa « doctrine de la république noire », Staline confiait la direction et le contrôle des mouvements communistes dans les colonies africaines aux partis communistes des métropoles respectives. Ce système de tutelle était en partie inspiré par la croyance idéologique ~ue le prolétariat des pays impérialistes doit s allier aux masses opprimées des colonies 11 • • 9. Comme exemples des études soviétiques sur l'Afrique voir : La Lutte impérialiste pour l'Afrique t le mou e1nen1 de libération des peuples, publié par l'Académie des science de l'URSS, Moscou 1953 ; L'Afrique sous le joug de l'inip - rialisme, Moscou 1951. 10. I. Potekhine : « La théorie stalinienne de la révoluti n coloniale et le mouvement de libéraion nationale en Afriqu tropicale et m~ridionale II in revue l' Bthnographi soviétiqu , Moscou 1950, n° 1, p. 29. 11. Ibid., p. 26. •

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