L. LAURAT pêle-mêle des· citations de Marx, d'Engels, de Lénine et - naturellement - de Staline pour donner l'illusion de la science. Et ce sont ces pauvres compilations que tant d'Occidentaux prennent pour argent comptant. Est-ce naïveté ou aveuglement volontaire ? Bornons-nous à verser des pièces au dossier. Dans son ouvrage assez .bien documenté 3 , le R. P. Chambre écrit à propos des idées quelque peu hétérodoxes émises par Eugène Varga au lendemain de la guerre 4 (p. 408, c'est nous qui soulignons) : En étudiant les travaux de Varga écrits durant la guerre ou l'immédiate après-guerre, avant le plan Marshall Guin 1947), on peut penser que certains économistes soviétiques envisageaient alors une politique soviétique internationale triangulaire dont un des sommets eût été l'Angleterre travailliste à laquelle E. Varga attribuait un rôle important en majorant la signification du travaillisme et des nationalisations anglaises. On sait que Varga fut obligé de se rétracter en mars 1949 (sauf sur l'imminence d'une crise majeure du système capitaliste, à laquelle il ne croyait d'ailleurs, pas) car ses affirmations rendaient un son nettement «réformiste». Le R. P. Chambre s'en rend parfaitement compte puisqu'il poursuit (p. 412, c'est encore nous qui soulignons): · La remise en question d'une des principales tl1èses de Lénine, en introduisant des éléments réformistes, aurait pu fausser à la longue les conceptions et les appréciations des citoyens soviétiques en matière d'économie et de politique internationale. Cette seule considération suffisait à justifier une intervention· de Staline, tout autant peut-être que le désir qu'il aurait pu avoir de prouver à son peuple que sa politique est juste et qu'elle est génératrice de paix. _L'auteur déclare donc en toutes lettres que les conceptions « théoriques » des économistes soviétiques sont déterminées, non point par l'analyse objective de ce qui est, mais par des considérations de politique et de propagande. Ces « savants » vont d'abord aux ordres, et ce n'est qu'ensuite qu'ils font de la « théorie ». Ce qui n'empêche nullement le R. P. Chambre et maints autres commentateurs de se pencher sur les écrits des économistes soviétiques, de Staline et de Khrouchtchev, pour y découvrir les développements les plus récents de la science économique marxiste. Tous ces «marxologues » passent sous silence l'existence d'une théorie marxiste véritable, fruit de recherches libres et désintéressées, poursuivies jusqu'à nos jours. Mais cette théorie ne se rattache point aux pensums insipides des fonctionnaires moscovites; elle est illustrée de noms dont certains sont encore bien connus du mouvement 3. Henri Chambre : Le Marxisme en Union soviétique, 1955. 4. • Modifications dans l'~conomie capitaliste à l'issue de la seconde guerre mondiale. • Biblioteca Gino Bianco 307 ouvrier international. Ne mentionnons que Karl Kautsky, Rosa Luxembourg, Émile Vandervelde, Rodolphe Hilferding, Otto Bauer, Karl Renner, Fritz Sternberg, sans oublier du côté bolchévique des hommes comme Boukharine et Préobrajenski. Suffit-il donc que Lénine ait traité Kautsky de « renégat », que le ve congrès de l'Internationale communiste (1924) ait excommunié le « luxembourgisme >> et que Staline ait fait assassiner Boukharine et Préobrajenski pour que des auteurs se croient tenus de ne pas même mentionner ceux qui ont notablement enrichi la théorie, pour n'accorder leur attention qu'à des malfaçons 5 ? LES MARXISTEqSue nous venons de nommer ont fourni un apport considérable à la mise de fonds initiale de Marx et d'Engels. Nous les avons déjà cités en nous demandant si et dans quelle mesure la théorie économique du marxisme est toujours fondée 6 • Il importe maintenant de résumer des idées et des thèses qui ont enrichi l'économie marxiste et ouvert des perspectives nouvelles. On peut en critiquer les auteurs, les approuver ou les réfuter. mais non accorder l'étiquette de « marxistes » à des serviteurs dociles d'un pouvoir totalitaire en même temps qu'on condamne de véritables savants à l'oubli. Les principales questions qui, au cours de la première moitié du :xxe siècle, sollicitent l'attention des économistes marxistes ont été successivement : 1, avant 1914 d'abord et à partir de la grande crise de 1929 ensuite, la poussée expansive des puissances capitalistes (impérialisme, colonialisme, militarisme, chômage) ; 2, à partir de 1918, et surtout de 1933, la socialisation ; 3, dès avant 1914, les modifications de la structure capitaliste traditionnelle ; 4, l'expérience éphémère de la nep de 1921-28 et quelques questions relativement secondaires comme celle de la valeur de l'or et celle des prix. Ces quatre séries de problèmes sont interdé·pendantes. Certains théoriciens, par exemple Hilferding et Boukharine, relient l'expansion impérialiste aux modifications de structure du capitalisme (monopoles). Ces modifications structurales à leur tour font apparaître la socialisation sous un jour nouveau : c'est là un des apports essentiels de Karl Renner. La socialisation ellem:me se rattache à la lutte contre les dangers de guerre résultant de la poussée expansive et d'autre part à la lutte contre la crise (élargissement du marché intérieur). Les travaux des 5. A notre connaissance, M. Émile James est le seul à accorder aux économistes marxistes non communistes la place qu'ils méritent (cf. É. Jam s : Histoire de la pens,e économiqueau XX siicle, P. U.F. 1955, pp. 37-41 et 58-60). 6. Contrat social, novembre 1958, p. 361. • •
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==