Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

300 rellement les porte-parole du mécontentement _populaire que causaient ces mesures parmi les musulmans. Lorsque la révolution russe éclata, les djadides se lancèrent presque aussitôt dans l'action politique, et soit seuls, soit en collaboration avec des groupements russes, se mirent à organiser les «masses». Ils tendaient, en général, à concentrer leurs efforts sur deux problèmes capitaux intéressant la communauté des musulmans russes : l'afflux constant des colons russes et l'emprise des autorités orthodoxes sur la société musulmane. Les problèmes purement politiques étaient à cette époque une préoccupation secondaire, la plupart des leaders actifs se contentant d'un programme de décentralisation générale de l'Empire alliée à une certaine forme d'autonomie nationale. Les trois congrès des musulmans de Russie qui se réunirent de mai à septembre 1917 examinèrent principalement les problèmes sociaux et cult11rels. Les djadides en sortirent triomphants et dominèrent complètement les organismes religieux et culturels élus pendant cette année. Les faits permettent donc d'affirmer à juste titre que le mouvement de réforme moderne qui touche les musulmans s'est manifesté pour la première fois et de la façon la plus remarquable chez les musulmans de l'Empire russe. Les musulmans et le marxisme LÉNINEet ses associés bolchéviks éprouvèrent, dès le début, une grande suspicion à l'égard des djadides qui s'associaient principalement aux démocrates constitutionnels et aux social-démocrates menchéviks. Mais les militants bolchéviks parmi les musulmans étaient si peu nombreux (avant 1917, il n'y avait sans doute pas un seul musulman bolchévik) que, alors qu'il s'efforçait de prendre le pouvoir, puis faisait des efforts désespérés pour s'y maintenir, Lénine se montra disposé à soutenir tous les groupes musulmans pourvu qu'ils soient prêts à reconnaître son gouvernement. Aucun des leaders du mouvement djadide ne répondit aux avances que fit Lénine, en 1917-18, par le truchement de Staline ; mais un certain nombre de jeunes marxistes musulmans, attirés par les promesses de Lénine qui leur laissait pratiquement carte blanche, franchirent le pas. Pendant que les bolchéviks réussissaient à stabiliser leur régime, un plus grand nombre d'intellectuels musulmans se· joignirent à eux, à des conditions également douces. Lénine donna à ces partisans toute latitude pour gagner à la cause soviétique l'opinion publique musulmane dans le pays et à l'étranger. A mesure que l'espoir d'une révolution imminente en Occident diminuait, Lénine se montra, à un point extraordinaire, disposé à composer avec les intellectuels musulmans, sur l'appui desquels il comptait pour répandre le mouvement dans les « réserves coloniales» de l'impérialisme. Biblioteca Gino Bianco .. L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE Mais en fin de compte, la reconquête par les bolchéviks des provinces frontalières orientales de ce qui était autrefois l'Empire russe, dont la plupart avaient fait sécession et s'étaient constituées en États indépendants pendant la guerre civile, fut due moins aux activités de la poignée d'intellectuels musulmans probolchéviks qu'au loyalisme inattendu de la population russe de ces régions. Ayant bénéficié pendant des dizaines d'années, ou même pendant des siècles, de la situation de groupe privilégié, les Russes - fonctionnaires, marchands, soldats, ouvriers ou paysans - n'étaient absolument pas disposés à laisser des régimes locaux sous domination indigène les priver de leur hégémonie traditionnelle. Ils préféraient un régime dominé par les bolchéviks de Moscou, qui ne pouvait être que russe, à un régime démocratique local dqminé par les indigènes. E.n conséquence, il y eut dans 'la plupart des régions musulmanes, de 1917 à 1921, une guerre nationale acharnée au cours de laquelle les Russes de toutes les classes, appuyés par le régime communiste de Moscou, imposèrent à nouveau la domination russe aux indigènes (au nom de la «dictature du prolétariat») et rattachèrent ces régions à Moscou. En de nombreux endroits, cette action s'accompagna d'actes de terrorisme auxquels les indigènes réagirent par la guérilla, dont la plus longue et la plus cruelle eut lieu en Asie centrale, de 1918 à 1924, sous le nom de basmatchestvo. Grâce à l'aide des colons russes et à des concessions temporaires, l'Armée rouge vint à bout des rébellions indigènes. La situation qui résulta de la reconquête par les bolchéviks des provinces frontalières posa un sérieux dilemme aux intellectuels musulmans. D'une part, ils étaient attirés par la possibilité de réaliser, avec l'appui sincère de Moscou, les nombreuses réformes intérieures auxquels ils · tenaient tant et que les musulmans orthodoxes avaient précédemment contrecarrées. D'autre part, ils étaient atterrés par le spectacle d'une guerre nationale dans les provinces frontalières, au cours de laquelle les Russes de toutes classes s'unissaient pour maintenir l'indigène à sa place et où le communisme soutenait ouvertement la cause des colons. · Il n'y a pas de meilleur exemple de la crise déclenchée par ce dilemme que l'histoire du communiste musulman le plus marquant de la période de la révolution et de la guerre civile, le Tatar de la Volga Sultan Galiev. Djadide par son éducation, journaliste et professeur de son métier, Sultan Galiev, encore adolescent, adhéra au bolchévisme au début de 1918 et, protégé personnel de Staline, s'éleva rapidement dans la hiérarchie. Intelligent et dynamique, il jouissait du respect de la communauté musulmane. Au départ, S. Galiev passa du côté bolchévik parce qu'il était convaincu que l'émancipation de l'islam ne pourrait s'effectuer que par la destruction du capitalisme et de l'impérialisme, dont la survivance était due à l'état arriéré dans

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