Le Contrat Social - anno III - n. 5 - settembre 1959

B. DE JOUVENEL pas ici notre affaire et nous devons nous souvenir que si l'exécution d'un tel ordre est en général beaucoup plus probable que l'exécution d'une suggestion armée d'un seul point d'exclamation ou d'aucun, la chose n'est jamais certaine. Il importe beaucoup à mon objet d'avoir ainsi tiré par degrés successifs, de la classe générale des appels, en dernier lieu la classe restreinte des appels à titre souverain, procédure qui évoque une pyramide vivante et mouvante au sein de laquelle les individus à tempérament appelant s'efforcent de grimper d'une situation qui donne moins de chances et de portée à leur appel à une situation qui en donne plus. L'effort de l'homme pour causer des actions ou conduites d'autrui est un phénomène naturel, partout et toujours observable : il se prolonge logiquement en effort pour construire ou conquérir des positions plus propices à l'action du • prem1er genre. VII TOUT ENSEMBLE HUMAIN comporte un relief : comme on l'a dit au début, il existe des « collines » à partir desquelles la parole motrice dévale avec énergie, tirant de son origine privilégiée une forte probabilité d'obtenir l'obéissance. De là suit que l'homme qui se voue à faire entendre une parole qu'il croit salutaire sera autant amené à grimper, s'il le peut, en haut de la colline, que celui qui a seulement l'envie d'être «haut placé». Il y a d'ailleurs dans tout homme des polarisations de la susceptibilité, telles que certaines paroles sont volontiers entendues et suivies, et il y aura dans un ensemble permanent des polarisations communes à tous, à un grand nombre, ou à un certain nombre. La nature et la distribution de ces polarisations constituent ce qu'on croit pouvoir appeler le caractère d'un peuple. Mais tout cela évolue, comme évolue aussi le relief : de nouvelles positions s'élèvent qui ne sont point portées sur la carte constitutionnelle. A chaque instant des paroles motrices interviennent pour affecter non seulement les actions immédiates, mais les propensions futures. Il y a des pesées faibles, de courte portée et sans lendemain; d'autres se développent cumulativement en poussées importantes. Sous l'action de ces impulsions qui naissent dans son sein, le système des rapports sociaux subit une déformation continuelle. Il a été quelquefois avancé que nous ne possédons aucun critère objectif nous permettant de prononcer telle situation d'ensemble moins bonne qu'une autre précédente ou possible; mais cette vue extrême n'a jamais fait impression sur le sens commun. Les mythes témoignent que les hommes ont toujours redouté une dégradation et dissociation du système général Biblioteca Gino Bianco 277 de relations, crainte à laquelle s'est ajouté plus récemment le sentiment d'une sorte de « droit » à l'amélioration du système général. A certains sièges surélevés nous attachons la fonction d'empêcher la dégradation et de procurer l'amélioration du système : les occupants de ces sièges doivent, par office, embrasser la scène d'ensemble et veiller à son évolution favorable. En dehors même de ces sièges, des particuliers auront, à un degré plus ou moins fort, le souci de contribuer à la conservation et au progrès de l'ensemble : dans l'histoire de France, le terme « les politiques » désigne spécialement les individus qui, pour la plupart sans siège de majesté, ont manifesté le souci de remédier aux for ces dissociatrices du corps social. Ainsi interviennent des activités qui prennent pour fin le bien du corps total, alors que d'autres activités politiques ont des objets plus particuliers. Il faut remarquer que les premières ne sont pas nécessairement plus salutaires que les secondes. Combien de fois n'est-il pas arrivé que la promotion d'intérêts limités se soit trouvée avantageuse au corps social tandis que le souci de l'intérêt général s'égarait dans le conservatisme ou l'utopisme ? Si ces considérations sont ici extérieures à notre objet, ce qui lui est essentiel c'est la constatation que le caractère de l'inspiration n'affecte guère la forme de l'action. L'agent aux vues politiques les plus nobles agit par les mêmes voies que l'agent à intérêts limités : il s'efforce d'influencer la conduite d'autrui, et pour cela de se mettre en posture favorable. Ainsi la Politique au sens le plus noble du terme, ,. . l'art de rendre l'Etat prospère et les citoyens vertueux, n'apparaît plus que comme le majestueux aîné de cadets beaucoup moins honorables, l'art de faire faire aux autres ce que l'on veut qu'ils fassent, l'art d'accéder à des positions privilégiées. Et tous plongent leurs racines dans un grouillement qui est une donnée immanente de la vie sociale. Aussi l'on se fait illusion lorsque l'on parle de politique (normative) comme s'il ne s'agissait que d'arranger des «choses» qui s'y prêtent. Il s'agit de composer des forces qui s'exercent et l'on ne dispose pour cela que de moyens homogènes aux phénomènes que l'on veut régler. Il faut remarquer dans le cas de toute activité politique l'identité de nature de l'agent et de l'agi. Ce que l'on veut agir, la causa materialis, est homme ainsi que l'agent, causa efficiens. Mais ce n'est pas tout : l'action politique qui tend à empêcher un phénomène jugé mauvais agit par des voies semblables à celles qui ont servi à provoquer le phénomène : similia similibus curantur. Généralement nous concevons l'action volontaire comme l'application à un système d'une force qui lui est exogène ; mais ici l'action qui se veut organisatrice et régulatrice à l'égard du système est elle-même endogène : •

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