YVES LÉVY toral des radicaux. Mais l'inquiétude électorale ruinait les coalitions de gauche, car les socialistes craignaient de trahir le socialisme (et <l:eperdre leurs électeurs au profit des 1 commumstes ), et les radicaux de lui faire d'irréparables concessions (et de per?I:e.l~urs électeurs au p~ofit des mo~é.rés)_. L'imposs1bilite de ces coalitions condws1t a trois reprises les radicaux à entrer dans des coalitions centristes ou modérées, tandis que l' électorat de gauche, déçu, penchait de plus en plus vers l'extrémisme communiste. La dernière législature de la IIIe République montra que le système n'était plus viable. Plus vaste qu'elle n'avait jamais été, la coalition électorale de la gauche triompha, mais les rivalités des partis l' empêchèrent de gouverner de façon durable. Léon Blum, comme on sait, ne pardonna pas aux communistes d'avoir délibérément - et par des procédés souvent inavouables - cherché à le faire échouer. Lorsqu'il les qualifia de « parti nationaliste étranger », il faisait à coup sûr allusion à leur attitude de 1939, mais sans doute pensait-il aussi au jeu qu'ils avaient jo,.ué con!!e lui en 1936. Il faut cependant reconnaitre qu ils ne faisaient que reproduire sous des formes aggravées et avec leurs habitudes un peu spéciales ce qui s'était, antérieurement, passé entre les autres partis lors de précédentes coalitions. Le jeu qu'ils jouaient, c'était un jeu que le système rendait possible, pis même : un jeu que le système rendait presque inévitable. Quoi qu'il en soit, l'expérience du Front populaire dégoûta la gauche des coalitions, et c'est pourquoi, sans doute, la représentation proportionnelle fut, après la Libération, accueillie comme un bain de vérité et de pureté. On a dit plus haut pourquoi ce système, qui donne de bons résultats dans certains pays étrangers, ne pouvait réussir chez nous. Si chaque parti avait eu une clientèle délimitée, un pacte était possible entre plusieurs d'entre eux. Mais les élections ne cessaient de montrer que leur audience était variable, et ils tenaient à se classer à droite ou à gauche, et à un poin! précis de la droite o~ de la gauche, pour savoir exactement avec qw ils étaient en concurrence. Et comme de juste étaient concurrents ceux-là précisément qui devaient s'entendre pour former une majorité. Le jeu des modes de scrutin ON ENTREVOIT sans doute ici le mystère des modes de scrutin. La représentation proportionnelle conduit les partis à se présenter isolément devant les électeurs, chacun avec son programme. Après le vote, il convient qu'un contrat soit discuté entre les partis qui doivent gouverner ensemble. Toutes les combinaisons sont possibles pourvu qu'il y ait une majorité, et les distinctions de droite et de gauche n'ont pas grand sens : pour que l'alliance soit souhaitable, il suffit que dans les circonstances du moment les ~rogrammes puissent s'accorder sans concessions • excessives. Biblioteca Gino Bianco 265 Le scrutin uninominal à un seul tour, que pratiquent les Anglais, est tout différent. Chaque parti s'adresse à la nation. entiè~e, et chaque citoyen se sent plus ou moms mis en demeur~ de choisir entre la droite et la gauche. Le parti qui l'emporte est libre de gouverner selon le programme proposé aux électeurs. Entre ces deux systèmes nous n'avons, à vrai dire, jamais opté. Notre représentation propo~- tionnelle correspondait sans doute à la multiplicité de nos partis, mais ces partis étaient, par suite de leur inquiétude électorale, incapables de signer quelque contrat que ce fût. Les gouvernements se formaient au hasard, et se dissociaient bientôt. La nécessité de regrouper ces forces incohérentes avait conduit à corriger ce mode de scrutin par des apparentements, sans aucun profit sur le plan gouvernemental, car ils tendaient beaucoup plus à conquérir des sièges qu'à rapprocher des partis qui pussent gouverner ensemble. D'ailleurs, après l'effondrement du tripartisme, les gouver~em~nts se fondaient beaucoup plus sur la polar1sat1on traditionnelle en France de la droite et de la gauche que sur les alliances de partis_. f'-ussi, lorsq~e M. Mendès France relança l'1dee du scrutm uninominal à deux tours, trouva-t-elle beaucoup de partisans. Il y a lieu cependant d'être surpris que ce mode de scrutin soit redevenu le nôtre dans un moment où l'avis de M. Debré pesait dans nos affaires d'un poids décisif. Il est en effet un de ceux qui connaissent le mieux le fort et le faible des modes de scrutin, et dès 1947 il en faisait, dans La Mort de l'État républicain, un exposé dont certains traits vont au fond des choses. Il y mettait en relief ce qui est précisément l'essentiel en matière de structure politique. Et d'abord il soulignait que le mode de scrutin n'est pas une chose secondaire, qu'il est le ressort même de la démocratie. 11 notait ensuite qu'il fallait choisir le mode de scrutin de façon à constituer une majorité parlementaire, se prononçait en faveur du scrutin anglais et rejetait la représentation proportionnelle, tous les autres modes de scrutin n'étant, disait-il, que des variantes abâtardies de ces deux-là. Enfin il constatait qu'il était impossible d'instaurer immédiatement en France le scrutin anglais, qu'il convenait de prévoir des étapes. L'actuel retour au scrutin d'arrondissement à deux tours serait-il donc à ses yeux une étape nécessaire sur la voie qui mène à l'organisation de la fonction parlementaire par le scrutin anglais ? Cela n'est guère vraisemblable. D'abord parce que M. Debré s'est, il y a douze ans, prononcé avec une particulière netteté contre ce mode de scrutin : « Dès maintenant, et à jamais, écrivaitil, il convient d'être très ferme sur un point : pas de second tour. C'est le ver dans le fruit et bientôt la pourriture, c'est-à-dire la proportionnelle. » Il condamnait donc aussi bien le mode de scrutin habituel de la III 0 République (qui n'a que trois fois - en 1885, 1919 et 1924 - cédé •
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