, 196 produits qu'elles contribuent à créer, elles cessent d'être considérées au seul titre de producteur. Elles ne sont plus seulement un moyen de la production, un élément de son prix de revient, mais aussi son sujet. et son but. Ainsi tend à se réaliser, dégagée de toute utopie, la vieille revendication socialiste du droit au produit intégral du travail. Cette revendication n'implique pas la liquidation du capitalisme privé si, suffisamment productif, il est capable d'agir dans le respect de trois impératifs : hauts salaires, bas prix de revient, faible taux de profit. De la sorte, son expansion n'en vient pas à briser l'équilibre du marché comme elle le faisait périodiquement à l'étape antérieure. Le rôle fondamental d'un syndicalisme ouvrier puissant et libre, c'est-à-dire efficace et responsable, est de veiller au respect de ces trois impératifs. De leur permanence découle une série d'autres impératifs ; ils concernent le niveau technique et culturel, la sécurité de l'emploi et une pratique des relations humaines qui sont autant de critères du caractère plus ou moins démocratique de la société industrielle. Loin de la diminuer, le processus d'intégration accroît la force ouvrière, augmente son poids économique et politique et suppose une plus grande responsabilité de ses actes. Du PROLÉTARIAT muré au début de la révolution industrielle dans son « effrayante solitude », jusqu'aux classes salariées actuelles, devenues partie intégrante de la société démocratique, se déroule un long processus historique. Il s'en faut de beaucoup qu'il ait épuisé sa vertu. 11 existe encore, dans les démocraties européennes surtout, des catégories ouvrières dont les salaires trop bas ne permettent pas suffisamment l'accès aux biens de consommation. Elles ont un caractère semi-prolétarien, séquelle du passé au même titre que les entreprises marginales inaptes à suivre le rythme du progrès technique. La persistance des conditions de vie du type prolétarien résulte d'une économie stagnante et celle-ci trouve excuse à sa routine lorsque la classe ouvrière n'a pas assez d'énergie pour sortir de sa condition prolétarienne. Entre le progrès technique et la revendication ouvrière il existe ainsi une étroite et constante interaction. C'est ce que soulignait, dans un article écrit il y aura bientôt cinquante ans et intitulé « L'activité ouvrière est liée à l'activité patronale», Victor Griffuelhes, ancien secrétaire de la C.G.T. : Que la classe ouvrière soit à même de consommer plus, de se procurer des produits meilleurs et ainsi s'exercera une contrainte ayant pour le plus clair résultat d'obliger à une plus grande production et à une exten- . sion nouvelle de l'industrie et du commerce. Il faut à la classe ouvrière, pour se grandir et se hisser, un capitalisme affairé et agissant 11 (souligné par nous). II. La Bataille syndicaliste, 13 juin 1911. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Et Griffuelhes s'en prenait violemment au capitaliste français « peureux, ro11tinier, sans initiative et sans audace ». Ce qu'il décrivait ainsi c'était, avant la lettre, l'intégration économique de la classe ouvrière dans une société démocratique. Il rejetait d'avance la fatalité d'une paupérisation absolue que la contrebande comm11niste essaye aujourd'hui d'introduire dans la psychologie ouvrière.: L'existence historique d'un prolétariat industriel étranger à la société à laquelle il est censé appartenir apparaît liée à la manière dont le capitalisme a transformé l'industrie dans les pays européens. S'installant dans des pays agraires aux structures cristallisées · par la tradition ou, comme en France, par une révolution récente, le capitalisme a utilisé les rapports antérieurs de propriété sans les adapter à ses tâches propres. Il a tantôt déraciné des populations sédentaires, " tantôt puisé dans une masse flottante aux emplois incertains _pour en constituer un prolétariat nouveau. Il lui a appliqué des méthodes de domination empruntées aux techniques militaires les ·plus archaïques. 11 a, en définitive, créé pour un siècle une situation explosive dont les nations industrielles viennent à peine de sortir. Le prolétariat, produit du capitalisme industriel dans sa première phase, se situe à la charnière de deux sociétés : une ·société du passé, agraire -et statique, porteuse de valeurs traditionnelles ; une société de l'avenir, industrielle et dynamique, inapte à créer de nouvelles valeurs mais cherchant dans le passé une justification empirique de ses exigences. La réalité prolétarienne appartient à cette grande ·mutation historique ; elle a eu un caractère virulent dans l'Europe d'hier comme dans l'Asie d'aujourd'hui où elle s'aggrave d'une · situation démographique accablante. Dans les vieilles nations industrielles, elle a fini par se transformer en un mythe d'où les revendications tirent une légitimité historique qui dépasse leur valeur présente. Le mythe moderne du « prolétariat » donne à l'esprit de classe un contenu affectif. Le sentiment y perce, timide ou violent, que le salariat est par essence une injustice en soi, destinée à être un jour abolie. Ce sentiment n'a pas partout la même intensité ; il varie suivant les expériences historiques dont il se nourrit : il est nul aux États-Unis, encore vif en France, plus faible dans les autres nations industrielles d'Europe. 11 appartient à ces survivances spirituelles qui subsistent longtemps après les réalités qui leur ont donné vie. Mais ces survivances elles-mêmes s'effacent, à moins qu'un cataclysme, recréant des situations sociales en voie de disparition, ne vienne annuler les patients efforts d'une classe ci-devant prolétarienne qui veut se faire reconnaître comme partenaire principal daµs une société démocratique. MICHEL COLLINET.
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