Le Contrat Social - anno III - n. 3 - maggio 1959

• DU DESPOTISME ORIENTAL par Paul Barton N NE SAURAIT trop insister sur l'importance que revêt l'étude du despotisme dit oriental 1 • Tant qu'on n'aura pas élucidé ses aspects fondamentaux, et notamment les structures sociales correspondantes, toutes les théories générales de la société et de l'économie seront 11ni1atérales; en même temps, les efforts ·de compréhension déployés par le monde occidental à l'égard des pays ayant subi ce régime pendant la majeure partie de leur histoire resteront sujets à de graves malentendus; last but not least, le phénomène sans doute le plus important du temps présent, le totalitarisme, continuera de résister à l'analyse. · Il est à peine croyable, étant donnée la tradition du despotisme en Russie, que les plus importants travaux théoriques sur le totalitarisme moderne ne soulèvent même pas la question de ses affinités avec le despotisme traditionnel. Hannah Arel)dt, par exemple, s'est bornée à en chercher les origines dans l'antisémitisme, l'impérialisme et le fléchissement de la société de classes 2 • De même, le despotisme fut entièrement passé sous silence lors de la discussion qui eut lieu à l'Académie américaine des Arts et des Sciences en mars 1953 3 • Le professeur Friedrich y déclara en 1. Le terme habituel « despotisme oriental » est très inadéquat, de même que ceux que l'on trouve dans la littérature marxiste : « société asiatique •, « mode asiatique de production », etc. En effet, il s'agit d'une structure sociale que l'on retrouve dans diverses parties du monde : non seulement en Asie et en Égypte, mais encore dans l'Empire inca et dans d'autres civilisations précolombiennes, en Afrique orientale, aux îles Hawaï, etc. Pour éviter la confusion, Karl A. Wittfogel, tout en usant également de la terminologie traditionnelle, propose les désignations suivantes : IOciéû • hydraulique », • agrodirectoriale » (agromanagerial) ou • agrobureaucratique •· 2. Hannah Arendt : Elemente und Urspruenge totaler Herr1chaft, Francfort, Europaeische Verlagsanstalt, 1955. 3. Totalitarianism. Édité par Carl J. Friedrich, Cambridge (Ma11.), Harvard University Press, 1954. Biblioteca Gino Bianco passant, sans preuve ni analyse, que la dictature totalitaire ne ressemble pas plus au despotisme asiatique qu'à la tyrannie grecque 4 • Ce phénomène s'explique aisément. Depuis fort longtemps, en effet, la société orientale traditionnelle a cessé de préoccuper économistes et sociologues. On a pris l'habitude de la considérer comme affaire d'archéologues, d'ethnographes ou d'anthropologues, chose d'autant plus curieuse que, parfois, ceux-ci ne manquent pas de discerner ce en quoi cette société rappelle le totalitarisme 5 ; l'examen systématique de cet aspect n'est évidemment pas de leur ressort. C'est finalement un sociologue, Karl A. Wittf ogel, qui, dans un grand ouvrage de synthèse, résultat de ses recherches consacrées aux sociétés « orientales » depuis plus de trente ans, a porté aux affinités entre despotisme oriental et totalitarisme l'attention qu'elles méritent 6 ; déjà, ses écrits antérieurs, notamment sur la Chine, avaient inspiré certains travaux concernant la variante chinoise du totalitarisme 7 • L'auteur expose longuement les idées de Karl Marx et les soumet à une critique détaillée ; ses propres conceptions se sont souvent dégagées d'une confrontation avec la théorie marxienne. Constatation importante : toute tentative pour reprendre l'étude sociologique du despotisme doit en fait remonter aux observations de Ma~. 4. Carl J. Friedrich : Totalitaere Diktatur, Stuttgart, W. Kohlhammer Verlag, 1957, pp. 13-16. S· Cf. Rafael Karsten: La Civilisation de l'En,pire inca. Un Êtat totalitaire du passi, trad. française, Paris, Payot, 1957. 6. Karl A. Wittfogel : Oriental Despotism. A Comparative Study of Total Power, New Haven, Yale Univ rsity Press, 1957. 7. Cf. notamment Ygael Gluckstein : Mao's Chi,ia. Economie and Political Survey, Londres, George AU n and Unwin, 1957.

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