132 les forces montantes sont convergentes et bénéfiques, que le mal est ur1 échec provisoire, que tous les matériaux servent à l'édification future, que nous devons nous détourner du passé mort, aller avec les vivants, diriger nos regards et nos pensées vers l'avenir ? Ces traits, d'ailleurs afférents à n'importe quelle philosophie du progrès, ne sont-ils pas ceux qui caractérisent l'état d'esprit progressiste ? N'y a-t-il pas là finalement une évidence ou une tautologie ? Pour aboutir au progressisme politique il n'y a plus qu'un pas à faire et il est vite franchi. Force est bien de reconnaître que le communisme marxiste est une des réalités majeures de notre temps ; adopté par d'énormes populations, il réhabilite la matière, célèbre la machine et la science, annonce l'union de tous les hommes et leur promotion aux splendeurs de la vie collective. Il est donc une vérité qu'on peut estimer déviée, outrancière, abusive, mais qui conserve une sorte d'essentielle légitimité. Cela posé, il devient inconcevable que sous prétexte de combattre le communisme on le veuille nier ou détruire; il faut lui prendre ce qu'il a d'excellent ou de nécessaire, l'intégrer à la cosmogénèse. Le P. Teilhard lui-même écrit dans une de ses lettres que l'avenir de l'homme suppose la victoire du christianisme sur le marxisme et que nous allons à la catastrophe si, par impossible, cette victoire ne se produit pas, mais qu'aussi elle suppose un christianisme capable d'accepter hardiment le monde moderne, la science, l'évolution, la transformation dimensionnelle de l'existence, la vie collective dont chaque monade recevra un surcroît de conscience réflexive. Qui ne retrouve en ces lignes une invite connue, trop connue, à comprendre le communisme afin de l'attirer vers soi, de le transcender, de lui insuffler une spiritualité qui du plomb vil fasse sortir l'or pur ? PAR d'autres routes nous sommes, dans cette même revue, arrivés déjà à des constatations semblables, mais la question est inépuisable et d'une telle importance qu'il n'est pas messéant d'insister. Qu'il y ait parmi les progressistes des politiciens avec lesquels toute discussion serait inutile, rien de plus avéré ; mais la plupart d'entre eux sont d'honnêtes gens, souvent très dignes d'un entier respect ou d'une chaleureuse sympathie. S'ils se trompent, ce pourrait être par simple entraînement du cœur, par besoin de se dévouer, d'épouser la cause des misérables; mais c'est aussi parce qu'il leur paraît impossible de ne pas adhérer à un grand parti du mouvement. Reconnaissons que nos contemporains, soumis aux lois de la sociologie urbaine, peu soucieux de s'enraciner ou d'éprouver en eux la force d'une tradition, n'accordent qu'une froide estime aux valeurs conservatrices les plus bienfaisantes tandis qu'ils sont toujours prêts, en dépit d'un scepticisme de façade, à se laisser piper par l'annonce BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL des « lendemains qui chantent ». Cette inclination appartient à l'ordre de l'infantilisme moderne et il s'ensuit que le progressiste, si décidé qu'il soit à l'action difficile et même au sacrifice, respire du moins l'enivrante et tonique certitude d'être en contact avec le cœur des foules. · Encore une fois, rappelons qu'il faudrait beaucoup de naïveté ou d'inconscience pour négliger dans 1'étude des courants progressistes le rôle de la manœuvre et de la propagande systématique ; mais la manœuvre serait peu efficace si elle ne visait à capter des sentiments et des pensées dont on mesure aisément l'énergie spontanée, la véhémence et même la logique profonde. De là vient le drame, car le progressiste de bonne foi est servi - ou plutôt desservi - par sa loyauté ; affrontant le communisme pour le rectifier, il combat à poitrine découverte un adversaire dont il voudrait faire un ami, il ne s'aperçoit pas qu'il a devant lui non pas un homme ou des hommes, mais une organisation disciplinée qui, par ruse ou force, ne vise qu'à faire de lui son instrument. La partie n'est pas égale ; le dialogue, méfiant ou cordial, se traduit toujours par les pires mécomptes, bien qu'on s'obstine à le reprendre. Parmi les conséquences immédiates de rapports commencés et poursuivis dans l'équivoque, il en est une dont l'extension risque de devenir désastreuse ; comme il faut bien, tant qu'on peut, éviter la rupture décisive, on atténue, on voile les critiques motivées par les agissements de l'interlocuteur en se persuadant que s'ils sont provisoirement mauvais ils s'agrègent pourtant à un ensemble destiné à devenir meilleur et donc justifié par sa fin. Ce report du présent au futur, de l'actuel au virtuel, ne saurait surprendre chez qui, par définition, pense en fonction de l'avenir. A nouveau, le P. Teilhard fournit l'illustration typique et parfaite d'un comportement intellectuel qu'il représente en toute noblesse ; excellent observateur, très capable dans sa vie nomade de voir les choses telles qu'elles sont, il se laisse constamment emporter lorsqu'il · médite .par un optimisme auprès duquel celui de Leibnitz semble bien mitigé, et qui implique une bienveillance universelle. Comment s'indigner en effet devant la laideur ou le crime, si on les insère dans une évolution qui déjà les transfigure ? Une optique divinatrice évoque en surimposition sur le terreau sanglant et grossier les moissons futures ou les arbres couverts de fleurs; il est permis de noter en passant que ce prophétisme diffère remarquablement de celui des inspirés bibliques, lesquels commençaient par fustiger terriblement les coupables. VENONS·EN à l'essentiel. En signalant l'influence de cette religion du progrès que revigore aujourd'hui la science, on observe que le progressisme est, d'une certaine manière,
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