QUELQUES LIVRES Les jeux et les jours ROGER CAILLOIS : Les Jeux et les hommes (Le masque et le vertige). Paris, Gallimard, 1958, 306 pp. ON PEUT considérer que le point de départ des remarquables analyses de Roger Caillois se trouve dans sa classification des jeux humains dont l'histoire, aussi bien que l'ethnographie, atteste la permanence : jeux de compétition, de hasard, de simulacre et de vertige. 11 est aisé d'illustrer chacune de ces catégories par des exemples pris dans notre expérience quotidienne: une épreuve sportive est un jeu de compétition, une loterie est un jeu de hasard, une représentation théâtrale un jeu de simulacre, l'attraction foraine appelée toboggan un jeu de vertige. Sans doute les exemples où chacune des catégories paraît se manifester à l'état pur sont-ils rares et les frontières sont-elles souvent incertaines (le jeu de billes· chez les enfants semble se situer à la lisière du hasard et de la compétition). Cependant l'utilité de ces distinctions pour la clarté de l'analyse n'est pas niable. La classification de Roger Caillois paraît exhaustive et surtout elle est neuve : elle met en lumière l'existence de curieuses lacunes dans les travaux de la plupart des théoricieJ;].s antérieurs qui se sont surtout occupés du jeu sous l'angle de la psychopédagogie individuelle <?U collective . et même lorsqu'ils ont tenté de marquer for~ement le rôle du jeu dans la culture et la civilisation (Schiller, K. Groos, Huizinga, J. -Chateau). Tout se passe comme s'il y avait des catégories de jeux ,respectables et d'autres qui le seraient _ moins : les jeux de hasard et de vertige, pour des raisons ·aisées à compr~, ont moins bonne réputation chez les éducateurs que les jeux de simulacre et surtout de compétition. Au sujet des jeux les moins respectables, on observe ·un curieux silence chez le plus grand nombre des théoriciens qui paraissent en quelque sorte les avoir «refoulés» à l'arrière-plan de leurs préoccu~ pations. Les· seuls mathématiciens paraissent s'être intéressés aux jeux de hasard dont Pascal a tiré les fondements du calcul des probabilités, mais pour des raisons évidemment étrangères à, la psychologie èt à la sociologie. _ Biblioteca Gino Bianco 11convient encÔré de rappeler la théorie mathématique des jeux .stratégiques qui se trouvent à la lisière de la compétition et du hasard, élaborée de nos jours par J. von Neumann et O. Morgenstern et à laquelle R. Caillois ne rend peut-être pas complètement justice (p. 270 ). Quant aux jeux de vertige, il faut remonter aux travaux des historiens des religions (Caillois utilise notamment l'étude de M. Eliade sur le chamanisme) pour retrouyer leurs lointaines origines dans de véritables institutions. · Que peut-on tirer pour la··sociologie de l'étude des jeux ? On peut constituer une sociologie des jeux en considérant le jeu comme une activité marginale par rapport aux activités dites sérieuses de la société ·(toutes celles qui ont le caractère d'un travail). On peut aussi tenter de constituer une sociologie générale -à partir de l'étude des jeux. C'est dans cette seconde direction que s'est engagé Caillois. Cette préoccupation explique le sous-titre qui, autrement, pourrait induire en erreur : l'importance dans la vie sociale des institutions -correspondant aux jeux de simulacre et de vertige paraît être caractéristique des civilisations les moins évoluées (dites «primitives») par opposition aux institutions fondées ·sur la compétition~ et aussi sur la chance ou le hasard qui se développent particulièrement dans les états de civilisation considérés comme supérieurs. 11 conyient de remarquer que cette seconde ·ligne de clivage né se confond pas avec la précédente : la compétition qui a pour objet de discerner le mérite paraît toujours plus respectable que la chance qui semble l'annuler, mais le prestige de la chance n'a pas cessé de s'exercer sur l'esprit de l'homme civilisé (Lévy-Bruhl a pu soutenir que la notion de «hasard » échappait . à l'homme primitif ·et l'on ne remarque pas qu'il. soit tenu compte du hasard dans les jeux des anim.at.Œ,tandis que les exercices aléatoires paraissent' susciter l'intérêt des adultes plutôt que celui des ·enfants). Aux niveaux inférieurs de civilisation, de croissance ou d'évolution, la relation du simulacre et du vertige semble être symétrique de celle de la compétition et de la chance : le simulacre construit un univers fictif tandis que le vertige détruit celui auquel nous sommes accoutumés, de la même façon que le mérite dégagé par la compétition répare les •
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