Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

330 Attlee qui avait lancé dès 1945 le mot d'ordre « ~'unir Otf périr»_? N'était-ce pas Churchill luim~m~ qw, à Zunch, en septembre 1946, avait adJure la · France et l'Allemagne de prendre la tête de l'union européenne ? Dan_s les. milieux, aye~s, on voyait plus clair ; les Bntanmques, decides à rester à l'écart ou à s'engager le moins possible, entendaient essentielleJ?lent participer aux contacts et aux discussions ; mieux : les diriger même. Ce n'était pas tout à fait le divide ut reges que certains reprochent à la Grande-Bretagne ; c'était sûrement le wait and see appuyé d'un spectateur qui entendait être également acteur. Accuser les Britanniques de double jeu, voire de« torpillage», serait erroné et injuste. Ils étaient, et _sont encore (car l'ambiguïté subsiste en 1958) comcés entre des impératifs contradictoires : d'un côté, l'évidence que la balkanisation européenne fait le jeu de Moscou, que l'11nion du continent est de toute façon en route, que cette 11nion est stratégiquement bénéfique pour eux ; de l'autre côté, la préférence impériale et la fermeture de leurs frontières aux produits continentaux qui pourraient concurrencer ceux du Commonwealth, l'ambition de jouer seuls le rôle de troisième grande puissance, enfin et surtout la vieille tradition de l'équilibre européen. En conséquence, Londres oscillera entre l'association à part entière avec les pays continentaux dans des organismeslargeset lâcheset le combat plus ou moins feutré contre les institutions plus serrées mais plus restrein.tes que certains continentaux créeront à la suite de la réserve ou de la carence britannique. En face, si l'on peut dire, même dialectique, inversée comme dans un miroir : le~ « euro~éen~ » tiè~es prétendant qu'on ne peut ru ne doit nen creer sans les Britanniques (à cause du « danger allemand », etc.), les « européens » convaincus mettant tout en œuvre pour fonder une 11nion aux participants réduits mais aux liens étroits (non pour repousser la Grande-Bretagne, laquelle s'exclut d'elle-même mais pour forger le noyau dur autour duqueÎ viendront s'agréger d'autres nations, à commencer par les Britanniques, lorsque le mouvement aura été prouvé par la marche). Ainsi sont nées les deux Europes : la « petite », de plus en plus affirmée, qui groupe tout de même p!us.~'hommes que les Êtats-pnis, - la« grande» ou ~iege!,ltLo~dres, les Scandinaves, la Suisse, etc., mats qw ne depasse pas le stade de la coopération intergouvernementale. , Second problème : la querelle entre les libéraux (le grand nombre à La Haye) et ceux qui ne se contentent pas du libéralisme économique classique, estimant que l'économie doit être organisée, sinon dirigée. On trouvait là des socialistes planificateurs, des syndicalistes fidèles à l'esprit de Pelloutier ou des encycliques sociales, des fédéralistes disciples de Proudhon ou de La Tour du Pin (et parfois des deux), pour Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL lesquels la société n'est pas un agrégat d'individus, mais une hiérarchie de communautés. Là aussi, se dessinent jusqu'à nos jours les deux courants et leurs résurgences. Pour certains, l'Europe sans barrières sera grosso modo ( avec quelques ·adaptations tout de même) le retour smon au M. Guizot d' « Enrichissez-vous », tout au moins au «laissez-faire» de l'Europe de 1913. Pour d'autres, l'Europe unie créera une société nouvelle, une discipline co.mmune, un effort pour atte~dre, grâce à d~s ~stitutions ad hoc, plus de bien-être et de Justice, dans la liberté des hommes et l'autonomie des comm1mautés. 4 ~, e~t, dans le domaine économique, toute la difference entre le Marché Commun et la Zone d~ !ïbre-échan~e, à propos desquels experts et m~~tres se disputent depuis la signature du traite de Rome, le 25 mars 1957, qui a créé le. Marché Commun. Nous retrouvons ici la GrandeBretagne qui, devant le Marché Comm1m - à quoi elle ne croyait pas - a proposé, d'abord c?mme substitut puis, devant la résistance des - Six, comme complément, la Zone de libre-échange dont le nom dit bien ce qu'elle est, et surtout c: qu'elle n'est pas. _ Le troisième problème, lié au second, est celui de l'Europe politique. Une Zone de libre-échange ne postule pas plus d'institutions politiques communes qu'en 1913 entre pays d'Europe - tandis q~'une Communauté économique pose des pro- ~lemes tels_qu'un ~on?9ôle et un arbitrage polittq1:1esdey1ennent mdispensables. Les préoccupa~ons diplomatiques et les inhibitions psychologiques de Londres rejoignent ici ses réflexes de défense économique; faire échec au Marché Commun, ou le désamorcer, c'est retarder une redoutable concurrence économique et contraindre l~s Six à différer leur fédération politique : d'une pierre deux coups. A La Haye, on pouvait discerner trois thèses principales en _matière politique, que voici par ·importance croissante : - la thè~e « fusi?llJ?-is~e », défendue par fort peu d; parttsans, 9w visait à créer un super-État europeen sans temr compte des diversités nationales; -: la thèse « fédéraliste » qui, partant des patrie_s et respectant. le~rs _institutions propres, tendait à fonder des mstttuttons supra-nationales communes assumant les tâches communes; - 1~ tliè~e « unio~ste », ~doptée en bloc par les Br1tanmques, qw consistait à développer 4. L'Europe est ainsi le terrain où des hommes très différents par leur origine et leurs préoccupations fondamentales peuvent se trouver et agir ensemble. Le « front commun » des syndicalistes révolutionnaires et des catholiques sociaux à La Haye est révélateur.

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