Le Contrat Social - anno II - n. 6 - novembre 1958

R.ARON qui n'a pas renoué de communication, même fictive, entre le pouvoir et le peuple. En Pologne, la continuité du régime communiste n'a pas été rompue, mais l'équipe Gomulka a été progressivement amenée à revenir sur une partie des conquêtes de la révolution d'Octobre. L'un et l'autre pays ont démonqé, s'il en était besoin, qu'un régime de parti monopolistique n'est pas à l'abri d'une révolution. Quand l'hostilité des gouvernés au régime gagne les privilégiés euxmêmes, un incident suffit, comme au siècle dernier, pour déchaîner l'émeute et abattre éventuellement un régime. Si les exemples polonais et hongrois révèlent ou confirment que les régimes de parti monopolistique sont eux aussi soumis aux risques de corruption et de révolution, il ne convient pas d'oublier que le cas des pays satellites est fondamentalement différent de celui de l'Union soviétique et de la Chine, parce que le communisme, imposé par l'étranger, n'y est pas national. Là où le communisme est national, une corruption comparable - aliénation réciproque du pouvoir et du peuple - est-elle possible ? On ne saurait l'exclure, mais on n'en a pas encore l'expérience. Abstraitement, on conçoit les circonstances dans lesquelles elle pourrait se produire. ~ Le régime communiste, nous l'avons vu, ne peut renoncer à ses dogmes (confusion du Parti et du prolétariat, démocratie définie par le monopole du Parti, opposition essentielle entre socialisme et capitalisme) sans ébranler le fondement idéologique sur lequel il repose. La société hiérarchique, l'étatisation totale de la vie économique constituent un type de civilisation industrielle qui présente mérites et démérites, mais qui n'accomplit pas le rêve millénariste. Au fur et à mesure que se stabilise la hiérarchie sociale et que s'élève le niveau de vie, l'idéologie révolutionnaire répond moins à la réalité, éventuellement même à la psychologie des militants. On peut imaginer qu'un jour ou l'autre, les hommes de l'appareil ou les simples citoyens prennent pleinement conscience de cette contradiction, à la manière des Polonais et des Hongrois, et que l'appareil démocratisé et les citoyens, revendicateurs ou révoltés, provoquent l'écroulement de l'édifice. Deux sortes de corruption sont donc concevables mais non observables dans le cas du régime de parti monopolistique : l'une entraînerait une lib!ralisation progressive, l'abandon de la discipline de parole et du monopole idéologique, sans que le régime soit ébranlé, l'État devenant technocratique, se débarrassant de la superstructure idéologique et du rêve révolutionnaire ; l'autrecommenceraitcomme la précédente, mais la légitimitéétant ébranléeen même temps que le credo officiel, une explosion du type polonais ou hongrois provoqueraitdes changements en profondeur. On a cru observer,au lendemainde la mort de SraJine, des signes avant-coureursde la preBiblioteca Gino Bianco • 325 mière sorte de corruption. Le glissement vers une autocratie technico-bureaucratique a été arrêté net et la « reprise en main» des intellectuels et des États satellites est déjà en train. L'insistance sur l'orthodoxie idéologique est peut-être due à la victoire des « hommes de l'appareil » sur les techniciens qui, même membres du Parti, se soucient davantage d'efficacité que de doctrine. Or les hommes de l'appareil constituent la classe politique du régime de parti monopolistique comme les parlementaires celle du régime constitutionnel-pluraliste. Tant qu'elle n'est pas divisée ou affaiblie, c'est elle qui impose ses habitudes, ses préférences au régime lui-même. Si l'idéologie tombait en désuétude, les hommes de l'appareil n'auraient plus de raison d'être. Or ils en ont une : un régime constitutionnel fondé sur la loi de majorité peut durer du simple fait qu'il · existe, sans que des propagandistes s'ingénient à ranimer la flamme. En va-t-il de même d'un régime de parti monopolistique ? Le monopole du Parti se justifie par l'entreprise révolutionnaire, le Parti doit exprimer le prolétariat ou !'Histoire. Le jour où les dogmes qu'in;.. voque le Parti sont objet de réfutation, de doute ou d'indifférence, l'autocratie technico-bureaucratique n'est-elle pas menacée à son tour ? Et la corruption du régime de parti monopolistique n'aboutit-elle pas au pluralisme constitutionnel ? N'est-ce pas la raison profonde pour laquelle le régime soviétique résiste à la corruption ? Entre· les deux · types opposés, les régimes intermédiaires risquent de n'être ni solides ni durables, faute d'obéir jusqu'au bout à la logique d'une légjtiroité. Nous avons eu, en ce siècle, de multiples expériences de la mort des régimes constitutionnels-pluralistes. Nous avons connu aussi, après la disparition du fascisme et du national-soèialisme, la restauration du pluralisme-constitutionnel. Mais les fascismes ont été tués par des armées étrangères et le régime communiste, en Russie et en Chine,: n'en est encore. qu'à sa première. phase. Or, du moins en Russie, le régime tend à se maintenir, pour l'essentiel, tel que les pionniers l'ont fait, en dépit de l'usure idéologique et de la stabilisation d'une hiérarchie sociale. Aucun cycle complet n'a pu être observé; provoqué de l'extérieur, le retour du fascisme au régime constitutionnel-pluraliste a sauté la phase intermédiaire d'autocratie technique. Et l'ardeur révolutionnaire qui prend pour obJet le développement des forces productives a devant elle un long avenir. · · · Enfin les régimes de parti monopolistique sont les superstructures d'une société absorbée dans l'État. Quand l'État absorbe en lui le sort ·de tous les citoyens, pluralisme et constitutionnalité sont-ils possibles dans la sphère politique ? RAYMONDARON •

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