Le Contrat Social - anno II - n. 4 - luglio 1958

238 dernières restrictions ne tombèrent qu'en 1919. Il y avait donc quelque mérite à professer des idées « réformistes » dans une telle situation. Les socialistes qui les défendaient se faisaient traiter de faux prophètes parce qu'ils se trouvaient par trop en avance sur leur époque. Ils étaient d'ailleurs bien plus nombreux que ne le croient généralement nos contemporains. Tout ce que la propagande communiste dénonce aujourd'hui comme « trahison socialiste » faisait partie du patrimoine doctrinal du socialisme depuis la fin du xixe siècle, à commencer par les écrits testamentaires d'Engels. Et Lénine lui-même ne trouvait rien à y redire ... Vers un réalisme politique Cette évolution du socialisme, rejetant peu à peu les espoirs utopiques pour aboutir à des vues de plus en plus réalistes, est attestée par des faits et des déclarations dont nous ne donnerons que quelques exemples. A partir du moment où l'on renonce à l'idée de l'insurrection armée pour accéder au pouvoir 1 et pour instaurer du jour au lendemain un ordre social que Marx et Engels s'étaient toujours refusé à définir et à décrire, il faut envisager une période de transition plus ou moins longue, au cours de laquelle les représentants des classes laborieuses seront obligés de partager le pouvoir avec ceux des classes possédantes. Le problème de la participation au pouvoir se pose au socialisme pour la première fois, mais de manière purement fortuite, au moment de l'affaire Millerand. Que les partisans de Millerand eussent tort ou raison, c'est ici la question de principe qui nous intéresse. Or, tout en condamnant le « ministérialisme » des millerandistes, assez nombreux à l'époque, Rosa Luxembourg, théoricienne de l'extrême-gauche socialiste, admet le 6 juillet 1899 qu'« il peut y avoir des moments où la prise finale du pouvoir par les représentants du prolétariat ne serait pas encore possible et où, cependant, leur participation au gouvernement bourgeois apparaîtrait comme nécessaire. » 2 Les motions des congrès socialistes internationaux de Paris (1900) et d'Amsterdam (1904) ne rejetaient la participation au gouvernement que pour des raisons de tactique, non de principe. C'est sur les conseils de Karl Kautsky que dans le texte d'Amsterdam, on substitua le mot rechercher au mot accepter dans la phrase suivante : La démocratie socialiste ne saurait rechercher aucune participation au gouvernement dans la société bourgeoise. Si réticents qu'ils fussent alors - et pour cause : la situation était loin d'être mûre - 1. Non point évidemment pour briser une dictature qui empêche un parti démocratique de· prendre la place qui lui· revient de droit. 2. Texte français dans Rosa Luxembourg, Réforme ou r4volution ? (Éd. Soc. Intem., 1932), p. 123. · Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES les porte-parole de la gauche socialiste n'élevaient aucune objection de principe contre la participation au pouvoir, 3 et Lénine ne trouva pas un mot, à l'époque, pour les en blâmer. Un autre problème qui suscita de vives controverses dans le mouvement socialiste du début du siècle était celui du colonialisme. Opposés à toute guerre de conquête, les socialistes d'alors étaient à peu près unanimes à résister à l'expansion coloniale des puissances capitalistes. Mais quelle attitude fallait-il prendre à l'égard des territoires coloniaux d'ores et déjà conquis ? Tandis qu'une tendance, dont le principal porte-parole était le Hollandais Van Kol, appuyé par Bernstein et par une forte ·fraction de la social-démocratie allemande, se prononçait pour le maintien des territoires d' outre-mer sous la dépendance de leurs métropoles respectives, une autre fraction, dirigée par Kautsky, préconisait l'abandon de ces territoires après l'accession du socialis~e au pouvoir. 4 Mais comme le socialisme était encore fort éloigné du pouvoir, ces controverses étaient sans portée pratique. Nous en parlons, d'abord pour définir la position du socialisme avant l'apparition du bolchévisme, ensuite pour montrer que là encore, le socialisme était en pleine évolution idéologique du fait que l'accroissement de son influence lui donnait le sentiment de se rapprocher du pouvoir. Bien que favorable à la libération inconditionnelle des colonies après l'accession du socialisme au pouvoir, Kautsky définissait avec sang-froid et réalisme la position du socialisme (p. 76 de l'opuscule cité) : L'idée d'un abandon volontaire des colonies ne peut avoir pour nous, tant que durera le règne du capital, que la valeur d'une boussole indiquant le sens de notre politique coloniale, mais non point celle d'une proposition pratique à appliquer immédiatement. Son importance pratique réside en ce qu'elle nous interdit d'avance tout consentement à un élargissement des possessions coloniales et qu'elle nous commande de lutter avec un maximum de zèle pour l'auto-administration des autochtones. Leurs soulèvements contre la domination étrangère ~eront toujours assurés des sympathies du prolétariat militant. Mais les moyens de puissance des nations capitalistes sont si formidables qu'un succès d'un de ces soulèvements ne saurait être envisagé. De tels soulèvements ne peuvent qu'aggraver le sort des autochtones. Tout en comprenant de telles révoltes et tout en sympathisant avec elles, la socialdémocratie ne saurait les encourager, pas plus qu'elle n'encourage en Europe même de vams putschs du prolétariat. Depuis la fin du siècle passé, l'accélération de la course aux armements avait obligé le socialisme à se préoccuper du danger de guerre. Les théoriciens cherchèrent des explications économiques 3. Pas plus que Marx d'ailleurs qui (lettre à Engels du 6 septembr~ 1870), tout en regrettant la participation de Rochefort, estimait que celui-ci « ne pouvait pas refuser » • 4. Cf. Karl Ka~tslçy, So;iali1mus untl Kolonialpolitik, 1907.

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