Le Contrat Social - anno II - n. 4 - luglio 1958

B. LAZITCH même cette vérité de La Palice apparaît aux conservateurs du musée marxiste-léniniste du Kremlin comme le début d'une déviation. Disposant d'un arsenal inépuisable de citations de Marx et de Lénine, ils s'en servent amplement pour expliquer le développement actuel du monde en général et du communisme en particulier. Ainsi, pour combattre la dissidence et la déviation apparues dans le bloc communiste depuis 1956 et qualifiées de « révisionnisme », les idéologues de Moscou n'ont trouvé rien de plus original et de plus actuel que de publier un nouveau recueil de Lénine rassemblant des articles vieux de trente-cinq à quarante ans. De leur point de vue, ils ont raison ; devant les faits sociaux nouveaux, apparus après Marx et après Lénine et souvent contraires à leurs prévisions, il n'y a que deux solutions possibles : ou maintenir à tout prix le marxisme-léninisme sacro-saint et infai11ible, ou dire ouvertement que les choses se sont passées autrement au risque d'ébranler les fondements de la scolastique. Les communistes yougoslaves, à la différence de leurs collègues soviétiques, ont cessé de tout expliquer par des citations de Lénine. Ils avouent dans leur projet de programme : Sous l'influence des divers facteurs sociaux, la pensée marxiste pendant des dizaines d'années est restée en retard par rapport au développement de la société contemporaine... Les communistes doivent rejeter toutes les tentatives visant à exploiter la lutte justifiée contre ces deux formes de révisionnisme [dogmatisme et réformisme] pour rendre impossible le développement des fondements scientifiques du marxisme-léninisme et l'application scientifique, marxiste, des phénomènes nouveaux caractéristiques du monde contemporain ... Mais pour sortir le marxisme-léninisme de son immobilisme et lui appliquer sa propre règle, à savoir le mouvement dialectique, les communistes yougoslaves manquent à la fois des qualités théoriques et morales nécessaires. Théoriquement parlant, l'équipe dirigeante yougoslave, formée à l'école du stalinisme des années 1934-1939, n'a connu le léninisme et le marxisme que dans sa version stalinienne. Le seul dirigeant qui se soit mis sérieusement à repenser le marxisme-léninisme fut Djilas, mais il l'a dépassé. Les Kardelj, Vlahovitch, Ziherl exercent de hautes fonctions dans l'État yougoslave et ce qu'ils disent est considéré à tort comme relevant de l'idéologie. S'ils n'étaient pas au pouvoir, ils ne pourraient trouver la moindre feuille de province pour les prendre au sérieux comme théoriciens du communisme. Moralement parlant, les communistes yougoslaves se sont gravement disqualifiés quant à toute révision honnête du marxisme-léninisme, du seul fait qu'ils ont changé leur programme officiel à deux reprises en dix ans, passant d'un extrême à l'autre. Et dans ces deux volte-faces, leurs positions politiques n'étaient nullement fonction de leurs opinions idéologiques ; au contraire, leurs théories n'étaient ~ue la justification ou la façade de la politique qu ils menaient. Par Biblioteca Gino Bianco • 203 conséquent, si la politique changeait une fois de plus radicalement, le programme suivrait le même tournant, sans troubler le moins du monde les « théoriciens » du communisme yougoslave. S'il s'agissait de désillusions, comme chez de nombreux communistes en Europe, il y aurait des circonstances atténuantes, mais il ne s'agit en fait que d'opportunisme. Dans les années 1936-39, les Tito, Kardelj, etc. en savaient beaucoup sur la Russie et le Komintern, mais ils ne devaient en parler que dix ans plus tard ; la structure socialo-économique de la Russie soviétique était la même en 1945 quand elle était pour les titistes le pays-guide du socialisme, en 1952 quand elle devint le totalitarisme le plus inhum1in, et en 1958 quand elle est redevenue le premier pays du socialisme (sans en être le guide obligatoire). Les Soviétiques ont d'ailleurs effectué à leur tour un revirement identique : la Yougoslavie était en 1947 le pays-modèle de démocratie populaire; après 1948 elle fut accusée d'être une dictature fasciste, et après 1955 elle édifie un socialisme discutable, dont il faut se méfier. Pourtant le «Projet» yougoslave,. comparé aux litanies interminables des communistes soviétiques, paraît presque un effort de pensée originale. Tout d'abord, ce projet est lisible et sa lecture n'éveille pas l'impression que tout cela ait été dit cent fois dans la presse officielle, comme c'est le cas pour les articles et les discours des « théoriciens » soviétiques. Ce projet démontre également que si les communistes yougoslaves ont renoncé à critiquer la réalité interne soviétique, ils n'ont pas accepté les lieux communs soviétiques sur le monde di·l capitaliste. Les titistes yougoslaves ne voient pas le capitalisme selon les schémas soviétiques. L'évolution de l'État dans la société bourgeoise, intervenant en matière sociale et économique et arbitrant le travail et le capital ; le rôle de la social-démocratie occidentale, auquel on reconnaît des mérites (tout en le critiquant) ; l'influence des syndicats dans les pays industrialisés - ces phénomènes ne sont pas restés inaperçus et sont mentionnés dans le «Projet». Contre ces vérités historiques et sociologiques, les auteurs de l'article du Kommunist de Moscou ne trouvent rien de mieux que d'opposer les affirmations et les citations de Lénine sur l'État bourgeois, sur les social-démocrates ou sur les syndicats occidentaux. L'opinion du «Projet » ne s'identifie pas à celle de Moscou dans l'interprétation de la situation mondiale actuelle. Pour Moscou le neutralisme n'est que l'étape entre le détachement des pays du bloc occidental et leur rapprochement avec le bloc soviétique ; Moscou accepte le neutralisme de Nasser dans le monde arabe et de Nehru en Asie, mais refuse le neutralisme de Tito dans le monde communiste. Par contre, les communistes yougoslaves se voient attribuer un rôle important dans les vastes régions en dehors des deux blocs; ce fait reste valable pour l'avenir, m..m. e si le passage suivant est éliminé du projet :

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