Le Contrat Social - anno II - n. 4 - luglio 1958

.196 grande partie de son prestige, en faveur d'une stratégie de la révolution violente tendant à la prise du pouvoir. A défaut d'un système de démocratie universelle et directe, les armes seront employées pour conquérir le pouvoir, grâce auquel sera mis en œuvre le programme désiré de législation et de socialisation. La voie révolutionnaire étant acceptée comme la plus sûre, communistes et socialistes se tournent vers les masses, qui représentent à leurs yeux la plus grande force potentielle utilisable ; il s'agit de les conduire au combat et à la victoire « démocratique ». - La différence fondamentale entre les écoles utopistes et révolutionnaires (ou encore « scientifiques») consiste dans les moyens mis en œuvre pour atteindre le Millénium promis. Les utopiens partent de cette idée que l'humanité est bonne, raisonnable et accessible à la persuasion ; ils croient à l'efficacité de l'exemple et de l' expérience et font appel à l'intelligence, à la sympathie, et aux aptitudes de la société dans son ensemble, pour qu'elles accomplissent les changements nécessaires. 16 Ils posent en principe l'unité fondamentale de l'espèce humaine; partisans d'une évolution pacifique, ils s'adressent au peuple dans son entier, et non pas à telle ou telle classe à raison de l'oppression subie ou des intérêts représentés ; les luttes sociales, les grèves et la politique de pouvoir sont généralement désavouées par eux. 17 L'audace de l'utopiste trouve son expression caractéristique chez Victor Considerant, disciple de Fourier. 18 A mesure que les socialistes et les communistes passent aux tactiques révolutionnaires, ils se «prolétarisent». Jusqu'en 1840, ils sont restés dans l'ensemble les uns commes les autres, indifférents à la politique, considérant comme de peu d'importance la forme du régime. A partir de cette date, -la conquête du pouvoir prend de plus en plus d'importance comme moyen de réaliser les buts sociaux ; du même coup, le socialisme et le communisme« vont aux masses», se font les avocats du suffrage universel, et concentrent leur attention sur la nécessité de gagner par l'action militante « la bataille de la démocratie ». Le pouvoir politique sera utilisé pour détruire la société existante et le régime du capital. Plus tard, l'État lui-même deviendra superflu, ayant accompli sa tâche. 16. Vidal, op. cit., p. 305. 17. Émile Durkheim, Le Socialisme, sa définition, la doctrine saint-simonienne, édité par M. Maus (Paris, 1928), p. 4 ; Werner Sombart, Socialismus und sociale Bewegungen im XIX. Jahrhundert, Ethischsocialwissenschaftliche Vortragskurse, IV (Berne, 1897), pp. 8, 17-18 ; Paul Keller, Louis Blanc urul die Revolution von 1848 ; Ein Beitrag zur Geschichte des Sozialismus und der Volkswirtschaft Frankreichs in der ersten H iilfte des XIX. Jahrhunderts. Züricher volkswirtschaftliche Forschungen, X (Zurich, 1926), pp. 30-35. 18. Voir notamment un manifeste de 1841, cité dans Adolf Damaschke, Geschichte der Nationalokonomie, 13e édition, (Iéna, 1922, 2 vol.), I, p. 101. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL << Pas d'ennemis à gauche >> Socialistes et communistes cessent dès lors de repousser avec colère ou mépris l'alliance du libéralisme et de la démocratie politique. Ils proposent maintenant· de faire un bout de chemin ensemble, dans la voie qui les <J:onduiraau !riomphe final des sociétés de leur rêve. 19 Même Etienne Cabet, le communiste icarien qui plus tard ne résistera pas à la tentation de fonder sa propre utopie, s'adresse aux démocrates pour les inviter à ne pas rejeter l'aide des communistes. 2° Faisant valoir que le communisme n'est rien d'autre que la complète réalisation de la démocratie, il se déclare prêt à accepter la République comme une étape transitoire jusqu'à l'établissement total du système qu'il a en vue. 21 Marx sera partisan d'une coalition semblable, aussi bien dans le journal allemand de Bruxelles où il écrira d'abord, que plus tard, dans sa stratégie révolutionnaire de .1848. Cependant, socialisme et communisme continueront à regarder les institutions et les révolutions libérales comme autant de moyens plutôt que comme des fins en elles-mêmes. Cela sera clairement exprimé en I 848 dans la Gazette de Trèves, pour laquelle libéralisme et démocratie sont tout aussi éloignés l'un et l'autre du but réel ; la démocratie n'est en dernière analyse qu'un libéralisme poussé à ses extrêmes conséquences, c'est-à-dire jusqu'à l'impossible. Les véritables problèmes sont économiques ;· tout être humain doit devenir un producteur. 22 Ce ne sont ni l'armement du peuple, 11i les parlements, ni la laïcité, ni les autres libertés publiques qui font jaillir le progrès comme par enchantement ; ce dont on a besoin, c'est tout bonnement d'une règlementation des salaires et des prix. La liberté de la presse, le droit d'association ne sont en aucune façon la terre promise, mais un simple pont pour l'atteindre. 23 Républicains, démocrates et libéraux manifestent bientôt un scepticisme croissant quant à la sagesse d'une alliance aussi féconde en sur- -prises que le bloc avec les socialistes et les communistes. La plupart d'entre eux ne tardent pas à découvrir les divergences fondamentales qui les séparent des idéaux et des buts « démocratiques »- de leurs alliés. Konrad Heinzen, républicain allemand d'avant-garde et grand admirateur des institutions américaines, pressent un des premiers que communisme et despotisme peuvent marcher la main dans la main; il comprend que les corn- • 19. G. Adler, Die Geschichte der ersten sozialpolitischen Arbeiterbewegung in Deutschland mit besonderer Rücksicht auf die einwirkenden Theorien (Breslau, 1885), pp. 103-118. 20. Étienne Cabet, Le cataclysme, ou, conjurons la tempête (Paris, 1845), p. 20. 21. Idem: Salut par l'union ou ruine par la division. La Paix ou la guerre entre Le Populaire et La Réforme (Paris, l 845), p. ,49. 22. Triersche Zeitung, 3 février 1848. 23. Ibid., 16 mars 1848.

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