Le Contrat Social - anno II - n. 3 - maggio 1958

S. HOOK par exemple, dans certains pays, de la signification attribuée au principe du contrôle ouvrier * dont se préoccupaient, dès la période prérévolutionnaire, les syndicalistes aussi bien que les marxistes. Le contrôle ouvrier* Une ambiguïté constante a régné, dans la théorie socialiste, en ce qui concerne la nature et le rôle du contrôle ouvrier. Sous son aspect utopique, la théorie marxiste du dépérissement de l'État faisait des organes du contrôle ouvrier au niveau de l'entreprise l'unité fondamentale, destinée à fonctionner sans contrainte, en vertu de la coopération volontaire d'une espèce d'homme historiquement nouvelle. Pour les besoins de la lutte révolutionnaire, le mot d'ordre du contrôle ouvrier servait à exacerber les esprits pour mieux exploiter une situation critique. Toutes les tendances du mouvement socialiste revendiquaient le co11trôle ouvrier, mais peu nombreux étaient les militants qui semblaient savoir exactement ce qu'il fallait entendre par là. S'agissait-il d'une fonction exercée au nom des ouvriers par un groupe politique monopolisant le pouvoir, ou bien d'un droit que les ouvriers eux-mêmes exerceraient en se donnant une direction de leur propre choix? Immédiatement avant et après la prise du pouvoir, les bolchéviks proclamaient de la façon la plus insistante la nécessité du contrôle ouvrier dans chaque usine. Mais bientôt le monopole du parti communiste s'affirma avec tant de rigueur que l'expression « contrôle ouvrier » se réduisit de façon transparente à une simple hypocrisie de langage. C'est Lénine en personne qui mena le combat contre l' « Opposition ouvrière » - fraction du parti communiste taxée de déviation anarchosyndicaliste pour avoir pris au sérieux les formules d'agitation et de propagande d'une époque désormais révolue. Les communistes yougoslaves, qui reviennent aujourd'hui à la formule du contrôle ouvrier, laissent entendre que Staline, sur ce point, avait révisé la position de Lénine, alors qu'eux-mêmes seraient restés fidèles au schéma léniniste. Interprétation tendancieuse, beaucoup trop simple pour être vraie. Le sophisme consiste à confondre la décentralisation de la production et de la gestion industrielles, qui accorde à l'entreprise une plus grande autonomie, avec le contrôle ouvrier indépendant exercé au niveau même de l'entreprise : or si en Yougoslavie la décentralisation a été ré;lisée, le contrôle ouvrier reste une simple • Nous traduisons ainsi, conformément à un usage contestable, l'expression workers' control. L'acception première de control est en effet autorité, pouvoir, domination. Mais le mot signifie aussi direction, surveillance. Enfin, au sens le plus faible, il se dit pour vérification, contrôle. On ve~ra cependant _plus loin Q1;1C l'ambi~uï~é n'est pas seu,l.emnt bée à la difficulté de traduire sans trahir. Elle uent à 1 idée autant qu'au mot. - N. d. l. R. BibliotecaGinoBianco • 147 promesse. Cette promesse, si l'on s'en tient à l'exemple de Lénine, ne sera pas tenue. En effet, même dans la période la plus libérale de l'administration soviétique, Lénine insista toujours sur la « nécessité absolue de réunir entre les mains de la direction toute l'autorité dans l'usine », et cela pour accélérer l'industrialisation. Il est à peine nécessaire de faire ressortir que la direction des entreprises, dans les pays qu'on nomme capitalistes, dispose, sur les ouvriers, de pouvoirs beaucoup moins étendus qu'en régime « socialiste », et que les syndicats ouvriers, dans ces mêmes pays capitalistes, exercent en pratique un contrôle bien plus large que celui que la théorie attribue aux conseils ouvriers. Lénine ne reconnaissait aux syndicats, en régime soviétique, qu'un rôle très limité, consistant à remédier « aux abus et aux fautes résultant des déviations bureaucratiques de l'appareil d'État » ; encore cette prise de position revêtait-elle une importance toute particulière, en ce sens qu'elle justifiait, de la part des travailleurs, l'exercice du droit de grève dans l'État dit « ouvrier » et donc dans toutes les entreprises d'État. Le fait que ce droit ait été soumis, dès les origines du système soviétique, à toutes sortes de restrictions et de limitations, au point de constituer l'exception plutôt que la règle, ne saurait le dépouiller de sa signification de base ni de sa valeur comme mot d'ordre capable, dans le présent et l'avenir, de mobiliser les énergies. C'est ce droit de grève mutilé qui fut aboli sous Staline et dans tous les régimes stalinistes : perte cruelle, car l'abolition du droit de grève instaurait en substance un système de travail forcé, avec toutes les formes d'exploitation et d'oppression que cela comporte. Les conseils d'entreprise En Yougoslavie, de nos jours, s'exerce un contrôle ouvrier de portée très limitée, par l'organe des « conseils ouvriers » et à la faveur d'une décentralisation industrielle visant à alimenter les marchés régionaux et locaux. Ce système est un produit de la nécessité économique bien plus que de la vertu politique. * Et pourtant, si limité que fût le « contrôle », la réaction critique des Soviets contre cette timide réforme n'en a pas été moins sévère. En l'occurrence, ce qui doit retenir l'attention est la justification théorique qu'en termes idéologiques grandiloquents Kardelj et d'autres communistes yougoslaves ont cru devoir fournir de cette dérogation exceptionnelle à l'imitation du modèle soviétique. Le 7 décembre 1956, à la tribune de l'Assemblée populaire yougoslave, Kardelj a franchement adopt la théorie des « circo11stances exceptionnelles », tout en caractérisant le particularisme yougoslave comme empreint d'une fidélité particulière aux conceptions • Sur l'origi11e et le fonctionnement d s conseils ouvri r r_ouioslaves1 voir E. Halp rin. (t Is Ru ia Going Titoist? 11, Problems 01 Communis,n, s ptcmbre-oct br 1956.

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