Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

de tous les continents, les obligent, pour se-faire entendre· des hommes, à recourir à un certain langage. Subterfuge sémantique, certes, destine à faciliter la domination et l'atomisation de ceux qui sont en leur pouvoir, mais arme à double tranchant puisque ce langage entraîne en même temps la possibilité d'immenses et fatidiques malentendus. De façon générale, il est dangereux, pour un despotisme, de consentir au moindre relâchement, de dispenser la moindre dose de liberté. Mais en l'occurrence le Kremlin affronte un autre péril : les déclarations solennelles, les grandes promesses risquent d'être mal comprises, de soulever des espérances auxquelles ne songeaient nullement les discoureurs. Or, comme le disait Marx, l'illusion, lorsqu'elle s'empare de vastes masses humaines, devient elle-même une force matérielle. Enfin, à aucun moment la réflexion sur la pérennité du despotisme n'empêche de chercher des raisons d'espérer. Soit que des héritiers affaiblis fassent un usage moins efficace des terribles ressorts du pouvoir total ; soit qu'une crise de succession, ou une succession de telles crises, oblige l'un des prétendants à sortir du cadre étroit où la lutte est confinée pour s'appuyer sur d'autres forces, à la base du Parti ou même en dehors du Parti, leur insufflant ainsi quelque existence indépendante. Ou encore que l'armée - atteinte dans son honneur, comme jamais ne le fut une armée, par l'accusation d'avoir été un repaire de trahison où les espions de l'ennemi se comptaient par milliers - s'arrache un jour à l'étreinte du Parti au point de constituer dans l'État un pouvoir rival ou tout au moins une force capable de pression indépendante. Enfin, que des intellectuels, des techniciens, des étudiants réussissent de quelque manière à briser les barrières qui empêchent le mécontentement général de donner naissance à une force autonome et agissante. ·S 1, MALGRÉ TOUT, ces quelques pages mettent l'accent su~ la rigidité structurelle des institutions soviétiques et sur leur stabilité inhérente, c'est en quelque sorte pour recourber le bâton faussé de l'opinion, dans la mesure et dans le sens qui paraissent nécessaires afin de le redresser. L'Occident, semble-t-il, éprouve une certaine difficulté à fixer fermement la tête de Méduse du communisme, même reflétée par le bouclier de l'analyse théorique. Élevés dans un monde ouvert et changeant, nous avons peine à croire à la pérennité des systèmes despotiques. Nos espoirs et nos attentes peuvent encore nous trahir bien des fois, en nous prédisposant à nous laisser tromper ou à nous tromper nous-mêmes. D'ailleurs, sous son aspect « journalistique », notre culture ne nous incline que trop à donner trop d'importance à ce qui est nouveau, parce que seule la nouveauté fait une «nouvelle », et que, chemin faisant, nous négligeons d'insérer les faits, par une fastidieuse mais nécessaire «répétition», dans leur contexte historique et institutionnel. Biblioteca'GinoBianco LE CONTRAT SOCIAL De la NEP au Socialisme dans un seul pays ; du Front populaire et de la Sécurité collective à la Grande Alliance des Démocraties et au Monde Uni; de la Coexistence pacifique à !'Esprit de Genève - chaque fois, la déformation professionnelle expose l'intellectuel occidental au danger non de méconnaître mais de s'exagérer l'importance et des changements volontaires d'orientation et des tournants involontaires, voire des manœuvre_s tactiques ou des exercices oratoires. Tour à tour, chacun des «événements» qui se succèdent ainsi depuis quarante ans a été salué comme le signe décisif d'une humanisation de la guerre que l'État totaliste fait à ses propres sujets et au reste du monde ; du << changement inévitable», depuis longtemps attendu, de la << transformation fondamentale », de l' cc assagissement qu'inspirent les responsabilités du pouvoir » ; d'une << réponse à la pression des faits ». On s'est empressé de reconnaître l'assouplissement croissant du système totalitaire sous l'influence d' «une technocratie rationaliste » ; l'effet modérateur cc par lequel le privilège lui-même tempère l'audace d'une nouvelle classe privilégiée»; l'aurore annonciatrice d'un pouvoir nouveau, enfin cc limité au despotisme traditionnel »; le << sentiment de responsabilité envers la Russie, plutôt qu' envers la Révolution mondiale»; la «·digestion paisible d'une bête de proie déjà rassasiée». L'on a aussi constaté la «diffusion croissante de l'autorité, pouvant conduire à un despotisme constitutionnel » ; le« procès de mûrissement qui, tôt ou tard, s'empare de tous les mouvements militants » ; la réflexion sur les conséquences de la lutte pour la domination universelle, enfin intervenue à la suite de la « reconnaissance du caractère universellement destructif de la guerre nucléaire »; «la courbe nécessairement descendante que finit par dessiner la trajectoire de toute révolution»; « l'inévitable érosion de l'édifice totalitaire », et ainsi de suite : chacune de ces expressions est empruntée à quelque spécialiste des questions soviétiques, d'une autorité reconnue dans le monde anglo-saxon. C'est ainsi que, de par notre psychologie et nos aspirations, en raison aussi du caractère inattendu des cc méthodes révolutionnaires » introduites dans la diplomatie d'un monde antagonique et polarisé, nous ne sommes que trop disposés, semble-t-il, à guetter les moindres événements pour y découvrir cc du nouveau », et à analyser dans le même sens, parfois avec trop de crédulité, la moindre déclaration, le moindre texte. Décidément, le «principal danger », comme diraient les communistes, ne gît pas dans l'insensibilité à l'espoir, mais dans la facilite à se rendre dupe. , _11. Des fruits de l'illusion QUAND l'agression hitlérienne jeta Staline dans le camp des démocraties, l'auteur de ces lignes soutint * qu'il n'y aurait pas, cette fois, de confé- , • Dans un article intitulé : « Stal,in at th· Peace-Tab ».

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