Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

S. HOOK Comme il n'est pas sûr que la révolution populaire contre le stalinisme hongrois ne puisse aboutir au~ fascisme, il n'est pas sûr non plus qu'il soit sage ou légitime de condamner, au nom de la démocratie socialiste, le régime de terreur pratiqué par Kadar. Pas plus que n'importe quel autre Fabien qui se respecte, G. D. H. Cole n'aime que l'on massacre des innocents; mais (dit-il), l'intelligence politique ne doit pas, en l'occurrence, s'incliner devant le sentimentalisme moral. Pour rendre justice à cet auteur, citons ses paroles : La plupart de ceux d'entre nous qui, en leur qualité de socialistes, répudient l'action des Soviets, le font, au moins en partie, parce qu'ils attribuent une haute valeur au principe de l'indépendance nationale, et qu'ils soutiennent, au moins dans de très larges limites, le droit du peuple hongrois à décider de ses actes sans être soumis à une autorité extérieure. Partant de cette hypotl1èse, il semble que l'on soit contraint de mettre hors de question le point de savoir si les Hongrois, abandonnés à eux-mêmes, se donneraient un régime national-communiste, social-démocratique, bourgeois-parlementaire ou même fasciste - pourvu que ce choix soit effectivement celui de la majorité du peuple. Mais sommes-nous, les uns et les autres, bien décidés à pousser jusque là? Pour ma part, je me récuse. Je considère le fascisme comme un système si abominable en lui-même, et si dangereux pour la paix du monde, que je suis prêt à justifier une action destinée à empêcher tout peuple, quel qu'il soit, d'établir un gouvernement fasciste - sauf à prendre en considération les questions de simple opportunité dans tel ou tel cas particulier. On me demandera sans doute si mon sentiment est le même quant au communisme ; ce à quoi je réponds que non, car, en dépit de son immoralité, le ccmmunisme s'est égalfment révélé comme une grande force libératrice en mettant l'éducation et les services sociaux à la disposition des masses qui, auparavant, en étaient privées. Il en résulte que le ccn:munisme, qu'il le veuille ou non, s'orientera probablement vers une libéralisation, à mesure que les effets de cette éducation des masses se traduiront par une pression populaire en faveur d'une plus grande liberté personnelle et politique ... Bien que refusant de reconnaître le droit à « disposer de soi-même» chez un peuple qui s'engage dans le « fascisme » par la voie du suffrage universel, G. D. H. Cole n'en conclut pas moins son analyse par une condamnation sans détours de l'action répressive russe. C'est que, s'il n'est pas sûr de l'issue démocratique des émeutes de Budapest, il n'est pas sûr non plus que le succès des révolutionnaires hongrois eût fatalement conduit au « fascisme » et à la guerre; aussi leur accorde-t-il généreusement le bénéfice du doute. N'empêche que les raisons qu'il met en avant pour justifier cette position raisonnable ne soient fortement sujettes à caution. Qui argumente à la manière de Cole se trouve en grand danger de voir ses arguments confondus, à son corps défendant, avec les sophismes des « compagnons de route » hommes de génie politiquement irresponsables, ou opportunistes vulgaires. Notons encore que le mot-clé dans cette discussion est celui de « fascisme ,,, dont le sens n'est BibliotecaGinoBianco 243 pas précisé par Cole, en dépit des différences immenses entre les régimes mussolinien, franquiste, péroniste, salazarien, horthiste, hitlérien - tous qualifiés de «fascistes». Or, Cole n'est pas assez écervelé pour admettre le sophisme communiste selon lequel le fascisme n'est autre que « la dictature du capital financier» (autrement il n'aurait guère pu mentionner le danger d'un fascisme hongrois) ; nous ne croyons pas faire violence à sa pensée en disant que, pour Cole, il s'agit d'un régime répondant à deux critères : être intri·nsèquementabominable et dangereux pour la paix mondiale. Qu'est-ce qui rend un gouvernement intrinsèquement abominable ou, pour user des paroles mêmes de Cole, «abominable en soi »? Sans doute le fait d'organiser ou de couvrir de son autorité les condamnations d'innocents, les épurations arbitraires, les camps de concentration politiques, les détentions et exécutions d'otages, la torture et la dégradation systématique d'êtres humains? S'il en est ainsi, il suffit de parcourir le fameux discours antistalinien de Khrouchtchev pour se rendre compte que tous ces attributs sont par excellence ceux de l'Union soviétique, de la Chine «populaire» et des États satellites. Les régimes communistes, à cet égard, ont été encore bien plus loin dans l'abomination que les gouvernements fascistes d' I talle, de Hongrie ou d'Argentine ; seuls les crimes de l'hitlérisme sont comparables par leurs excès à ceux dont l'appareil stalinien s'est rendu coupable. Quant aux dangers qui menacent la paix mondiale, il y a dans l'attitude de Cole un curieux manque de cohérence. Pour empêcher un pays de se fasciser et de devenir ainsi - pour l'avenir et en pui·ssance - une menace pour la paix, Cole choisit d'intervenir et de menacer - aujourd'hui même et en actes - la paix mondiale. Parce qu'un pays fasciste peut demain faire la guerre, Cole choisit de recourir à la force, et, selon toute probabilité, de déclencher la guerre dès maintenant. Mais si la paix passe avant tout, la forme d'un régime politique devient relativement indifférente. N'importe quel gouvernement - même démocratique - du moment qu'il menace la paix, doit, selon le point de vue de Cole, devenir l'objet d'une intervention en force par les puissances qui aiment la paix et l'ordre. Ici les choses risquent de devenir troublantes ; car certains des collègues en fabianisme de G. D. H. Cole ont déclaré - lors de l'affaire de Suez - qu'Israël, la France et l'Angleterre menaçaient la paix du monde. Qui interviendra, et pour sauver quoi? Est-ce que la menace, soulevée à cette occasion par le Kremlin, d'une opération punitive atomique sur l'Occident n'était pas, elle aussi, une menace pour la paix? Il est un peu trop commode d'assimiler fascisme et guerre comme des notions corrélatives, en négligeant le fait que certains pays fascistes n'ont point ébranlé la paix du monde - l'Espagne de Franco, par exemple, n'a guère fait mine de tirer l'épée contre d'autres pays. Par contre, Tito, à l'époque de la crise de Trieste, a presque mis le feu à l'Europe., et la terrible guerre de Cor e fut

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