Le Contrat Social - anno I - n. 3 - luglio 1957

QUELQUES LIVRES De Condorcet à Barangé GEORGESDUVEAU: Les Instituteurs. Paris, Éditions du Seuil, coll. « Le temps qui court », 1957, 192 pp. L'UTILE ouvrage que celui que M. Georges Du veau vient de consacrer à l'enseignement primaire! La place qu'occupe depuis cent cinquante ans, dans la politique française, ce qu'on appelle la « question scolaire » est un phénomène propre à la France, et qui reste à peu près incompréhensible hors de nos frontières. Rien, longtemps, n'a passionné davantage les esprits, « parfois de façon heureuse, car il est bon que l'homme soit ramené à ses grandes options métaphysiques » (c'est G. Duveau qui parle), souvent aussi non sans hypocrisie, car la question scolaire est apparue plus d'une fois « comme une diversion : grâce à elle, des tâches pourtant urgentes [furent] escamotées » (p. 21). Or, de cette école autour de laquelle ont si souvent tournoyé les remous de notre vie publique, l'histoire reste à faire ; des livres qui lui furent consacrés en si grand nombre, les auteurs avaient souci le plus souvent de défendre les couleurs d'un camp ou de l'autre et d'être à leur poste dans le combat bien plus que d'observer sans passion le champ de bataille et les intentions des combattants. G. Du veau, lui, fait œuvre d'historien. Il a tenté de brosser un tableau d'ensemble, de Condorcet à Barangé. Mais quelles que soient l'étendue de ses lectures et l'habileté de sa mise en œuvre, il ne parvient pas à cacher que nos connaissances de l'évolution du fait scolaire demeurent trop fragmentaires et trop peu précises pour autoriser déjà une œuvre de synthèse. Il cite des monographies récentes pleines de révélations précieuses et propres à nuancer ou corriger des idées préconçues, surtout pour la période de 1848. Mais elles restent peu nombreuses. « Nous ne pouvons mesurer, même d'une façon approximative, l'influence exercée par les instituteurs non seulement pendant la crise de 1848, mais d'une façon générale dans l'ensemble de la vie sociale au x1xe et au xxe siècles », écrit-il, car « les explorations dans ce domaine sont rares». Le sont-elles moins dans un domaine pourtant plus accessible, celui du développement matériel de l'école? Et sait-on, par exemple, avec quelque exactitude ce que furent les effets de la loi Falloux, et si elle freina ou, au contraire, accéléra le développement de l'instruction, même publique? G. Duveau parle des instituteurs avec une sympathie qui persiste entière malgré de sévères critiques - et c'est là un sentiment qu'on se gardera bien de lui reprocher, et pour cause. Il n'est pas seul à se sentir lié - bien plus intimement que par les idées - à ce qui fut l'infanterie républicaine. « Nous ne croyons plus un mot de ce que disaient nos vieux maîtres, et nos vieux maîtres ont gardé tout notre cœur », écrivait Péguy, et notre auteur le cite, approbateur. Mais, ramené peut-être lui aussi par les prodigieux bouleversements de ces derniers vingt ans à mieux voir la réalité sous les mythes, il regarde avec un certain scepticisme ce Biblioteca Gino Bianco 207 grand remuement d'idéal en fin de compte à peu près vain : « Le nombre des illettrés est en France de nos jours infime : il l'est aussi en Hollande et en Grande-Bretagne. Ces deux pays doivent même enregistrer des résultats meilleurs que les nôtres », constate-t-il (p. 183). N'est-ce pas au moins suggérer qu'il n'était sans doute pas utile de se croiser contre l'obscurantisme et de déchaîner les passions jusqu'à en venir à la limite de la guerre religieuse pour que les Français sachent, eux aussi, lire, écrire et compter? Moralement, les résultats ont-ils été meilleurs? Que la cohésion nationale, qui permit à la France de supporter le dur choc de 1914, ait été « pour une large part l'œuvre de ces instituteurs qui se situent dans la tradition de Michelet et de Jules Ferry» (p. 159), c'est ce dont on conviendra volontiers. Mais, enlevé ce patriotisme, on ne saurait manquer d'être frappé comme G. Du veau de l'irréalisme dont l'enseignement primaire et l'esprit des instituteurs, chez nous, portent la marque. Les instituteurs administrent « un domaine grandiose, mais fantomatique... Leur manque de sens de l'histoire, l'éducation trop intellectualisée qu'ils ont reçue les empêche de comprendre les grands enracinements de l'homme : ils n'auront de contact ni avec l'homme historique ni avec l'homme éternel» (p. 167). Concrètement, cela se traduit de la sorte : « L'instituteur ... est souvent incapable de donner au rural un conseil pour greffer un arbre ou choisir une semence» (p. 184). C'est qu'il s'agit 1noins d'instruire des hommes que de former des citoyens, moins de répandre des connaissances que d'en finir, au nom d'une métaphysique, avec d'autres métaphysiciens (p. 20). Tout est placé, dès le départ, sur ce terrain-là. Que fait la Révolution française ? Elle supprime ce qui existait (et, de ce qui existait, nous ne savons pas grand-chose : « La carte qui permettrait de mesurer l'instruction primaire à la veille de 1789 n'a jamais été dre.:sée. »). Elle décide que les personnes chargées de l'enseignement dans les classes primaires s'appelleront instituteurs (un « mot d'une belle latinité»). Elle pose les principes, et de façon définitive, mais elle n'ouvre pas d'écoles. Faute de temps sans doute, mais que ce manque de temps ait empêché les réalisations met mieux en relief cette tare de l'esprit français, dans ce domaine plus sensible qu'en aucun autre : le mépris de l'empirisme, des constructions à partir du concret. D'abord dire le dogme : on verra bien ensuite à y plier la réalité. QUEL dogme? Il est contradictoire. « Le législateur révolutionnaire est convaincu que l'instruction constitue un instrument de liberté » (p. 19). Elle est « synonyme de liberté et de moralité» (p. 20). Mais elle est aussi « pour parler comme Rousseau, le moule permettant de donner aux âmes la forme nationale ... Grâce à l'école, porteuse

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