Le Contrat Social - anno I - n. 3 - luglio 1957

B. SOUV ARINE Les communistes opposés à Staline impliquaient dans « stalinisme » la médiocrité intellectuelle et la bassesse morale du personnage. Ils ne prévoyaient pourtant pas les abominations qui allaient illustrer son despotisme et plonger leur parti dans une sorte de cauchemar. Avant même les déportations, les tourments et les massacres qui resteront inséparables du souvenir de Staline, le stalinisme se singularisait par une caractéristique essentielle, à savoir le mensonge sciemment porté à son expression la plus outrancière. Jamais on n'avait vu falsifier d'une manière aussi éhontée les dictionnaires et les encyclopédies, les documents officiels, les faits les mieux avérés, l'histoire du socialisme et l'histoire en général. On n'imagine pas Marx ni même Lénine truquant des statistiques : leurs travaux restent, qui le prouvent, et qui suffiraient à les différencier absolument d'un Staline. L'extrême misère, le dénuement de la population laborieuse au plus fort de l'industrialisation et de la collectivisation, c'est ce que la raison d'État stalinienne imposait de définir comme« la vie heureuse». La suppression radicale de toutes les libertés, de tous les droits civiques, et l'abaissement du niveau de vie au-dessous des conditions atteintes sous le tsarisme, c'est ce que Staline et ses acolytes ont exigé d'appeler «socialisme», prélude au • commumsme. . LES ACOLYTEdSevenus successeurs de Staline l'exigent encore et cela dispense de longs commentaires. La contrition publique de Molotov (16 septembre 1955), extorquée par ses complices pour affirmer la réalisation complète du socialisme dans l'Union soviétique, montre bien qu'entre Staline et ses épigones la nuance n'est pas de nature, mais de degré, dans la permanence du mensonge. Si l'exploitation accrue de l'homme par l'homme sous le capitalisme soviétique équivaut au socialisme, si l'inégalité croissante dans les rémunérations du travail et si la création de nouveaux privilèges individuels ou sociaux sont l'accomplissement du socialisme, pour n'argumenter que dans l'ordre économique, cela signifie sans aucun doute que le stalinisme survit à Staline. Sur le plan politique et moral, intellectuel et spirituel, le monopole d'un parti unique obéissant aveuglément à un Prresidium formé par cooptation et la soumission de tout un peuple à cette oligarchie omnisciente et omnipotente, détentrice de la seule vérité admise, cela ne confirme que trop la persistance du stalinisme. 11 est vrai que les staliniens délivrés de leur maître ont, dans la semaine qui a suivi sa mort, entrepris de dissiper la monstrueuse légende du Biblioteca Gino Bianco 139 grand Staline : le Dictionnaire de la langue russe rectifié en hâte, et cité plus haut, l'indique de façon certaine et quantité de signes en témoignent au cours des quatre années consécutives. Ils en laissent cependant subsister la trame, sauf en matière militaire, non par véracité ou esprit de justice mais par préoccupation d'utilité politique, leur intérêt n'étant pas d'apparaître en disciples d'une simple brute ambitieuse ni de reconnaître une solution de continuité entre eux et Lénine. Il est vrai aussi qu'ils ont mis fin à certains mensonges staliniens qui avaient fait leur temps et perdu toute valeur pratique ; mais ils conservent le mensonge fondamental avec son cortège de mensonges subsidiaires, bien décidés à mentir dans toute la mesure ou la démesure nécessaire à la justification de leur régime injustifiable. Khrouchtchev a encore une fois menti en démentant (10 mai) l'authenticité de son discours secret au xxe congrès du Parti, publié en anglais par le gouvernement américain après une publication en polonais par les communistes à Varsovie : il s'affirme en l'occurrence digne continuateur de Staline. Que le mensonge utilitaire soit de règle pour la « direction collective » stalinienne comme auparavant pour Staline, et que la vérité partielle soit l'exception et même à condition de comporter quelque profit, le discours que Khrouchtchev n'a pas prononcé, mais que confirment les revues communistes mal stylées à Moscou, en apporte une preuve supplémentaire, ne serait-ce qu'à propos des trop célèbres procès d'avant-guerre et des quelques « réhabilitations » de victimes innocentes. En fixant arbitrairement à 1934 la date où Staline aurait commencé de méfaire, en imputant faussement au « culte de la personnalité » les horreurs qui ont saigné à blanc le pays soviétique, en ne disculpant hypocritement qu'un petit nombre des martyrs du stalinisme sélectionnés parmi des complices, en taisant obstinément la responsabilité majeure de Staline dans les origines sinon dans les désastres de la guerre, en passant sous silence la plupart des répressions collectives et des tortures infligées aux peuples censés unanimes dans l'acceptation du système prétendu communiste, etc., le Prresidium auquel Khrouchtchev sert de porteparole se montre toujours résolu à persévérer dans le mensonge dogmatique qui est l'âme du stalinisme. Rien n'autorise à supposer que les œuvres inédites de Lénine promises par les staliniens ne seront pas amputées, frelatées d'une manière ou d'une autre, ni que les publications annoncées de textes documentaires devenus introuvables ne subiront pas les falsifications où les commu- •

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