G. GROSSMAN Organisation rationnelle de l'économie L'économie soviétique a connu dans les dernières années maintes innovations, fort obscures parfois (les observateurs étrangers ne les ont souvent pas remarquées ou rattachées), qui toutes tendent à généraliser le calcul économique comme élém~nt fondamental et méthodique de ~oute ·décision. Cette « rationalisation de l'économie », au sens étroit du terme, n'est peut-être pas spectaculaire, mais elle est très significative de l'évolution des institutions , . econormques. On imagine difficilement la confusion de l'économie soviétique. C'est à l'agriculture que revient la palme en cette matière : sait-on qu'il est pratiquement impossible de comparer les prix de revient (sans parler de rentabilité) d'une même culture dans deux fermes collectives, ou de déterminer, en fonction du prix de revient, les cultures à ent~eprendre dans tel ou tel cas ? Un désordre semblable règne dans d'autres secteurs de l'éc_onomie. Ainsi dans les projets d'investissements, il n'existe aucune méthode reconnue pour comparer les dépenses de capitaux et les dépenses courantes et, par là même, aucun moyen usuel de déterminer les capitaux à investir dans tel ou tel projet. On ne saurait étudier ici en détail les diverses réformes récentes. Citons : l'emploi du calcul économique ( khozracht.:,hot) dans les domaines - qui l'ignoraient encore (par exemple dans les stations de tracteurs et de machines), la suppression des subventions (par exemple, celles dont bénéficiaient les fermes d'État), l'intéressement matériel de l'ouvrier dans de nouveaux domaines (par exemple dans la construction). Parmi les mesures encore à l'étude, signalons : le calcul du prix de revient dans les fermes collectives, la détermination de règles permettant de préciser le montant des capitaux à investir ou encore les conditions de remplacement du matériel périmé. Des problèmes encore plus importants, tels que l'établissement d'un système des prix plus rationnel dans l'agriculture et ailleurs, ont été soulevés et sont probablement à l'étude. Les Biblioteca Gino Bianco • 177 progrès restent jusqu'ici assez limités mais ils montrent nettement qu'on cherche à ·rationaliser l'économie (dans le sens ci-dessus indiqué). Il va sans dire que cette tendance concorde avec l'attitude plus « raisonnable » dans la vie sociale du pays que les observateurs étrangers ont discernée depuis 1953. Elle témoigne, entre autres, d'une certaine volonté de subordonner ou d'adapter les dogmes de l'idéologie totalitaire aux impératifs économiques. LES conséquences d'une tendance à rationaliser l'économie (au sens étroit du terme) risquent fort de déborder le domaine strictement économique. Une décentralisation réelle et efficace de l'économie dite « socialiste » repose sur l'emploi généralisé du calcul économique et de règles rigoureuses d'application. De plus, en réduisant le champ des conjectures dont les directeurs d'entreprises ont à tenir compte, en diminuant le pouvoir de l'administration et l'arbitraire de la bureaucratie, en atténuant les oppositions d'intérêt entre l'entreprise et l'État, en accentuant la tendance générale à la rationalisation technique, etc. on réduira peut-être le besoin et même l'exercice de cette contrainte permanente sur l'individu qui se manifeste toujours. Tant qu'elle pèsera lourdement sur l'économie, il sera vain d'attendre un renouveau de libéralisation en politique intérieure. Il importe de bien comprendre que si la rationalisation de l'économie permet une libéralisation politique, elle ne saurait par elle-même la susciter. Un système rationnel des prix n'est pas incompatible avec l'institution du travail forcé (encore qu'il puisse gagner à sa suppression); en fait, les deux coexisteront tant que le rendement aura plus d'importance que les vàleurs spécifiquement humaines. Quelle place les dirigeants soviétiques réserveront-ils aux valeurs humaines, telle est, en dernière ànalyse, la question qui commande l'avenir de la libéralisation politique en URSS. ( Traduit de l'anglais) GREGORY GROSSMAN
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